A soixante mille années lumière de l’orbe terrestre, la navette sous pilotage automatique identifie une menace. Elle expulse alors dans l’espace tous les coffres d’hibernation qui contiennent l’équipage.
Mois : mars 2016
Horloge
Vivre seul et en solitaire est parfois pesant. Il faut occuper tous les moments du jour. L’énergie que cela exige, et la fatigue. Mais la satisfaction d’avoir aboli la course contre le temps est sans commune mesure. A toute heure pouvoir rentrer ou sortir, prolonger une réflexion ou s’endormir est une bénédiction.
Disco
Hier, je pédalais sur un vélo statique au milieu de vingt personnes dans une salle souterraine transformée en discothèque. Le vélo du chef de groupe est monté sur estrade afin que chacun puisse suivre la donnée d’ordres. Il crie les vitesses et les cadences. Il mélange les sons du bout des doigts sur une table de mixage, pour motiver la troupe il ne cesse de monter le son. Dès le début de la séance, j’enfonce des tampons dans les oreilles. Vers la fin, il faudrait un casque d’aviateur. Dans les haut-parleurs, le chanteur hurle en espagnol: Deux jours à t’attendre dans ce bar, je désespèèèèère! Jamais je n’aurai cru que ce serait si douloureu-eu-eux!
Plantes
Cette habitude des bourgeois du dix-neuvième d’herboriser. Gide raconte ces promenades savantes, mais note peu de choses sur ses trouvailles; Calaferte est à demeure, mais nous convie à regarder pousser les fleurs et plantes de son jardin. Lorsque je lis son journal, je saute ces passages. Et voici que j’ai acheté à un pépiniériste qui tient un stand au village le vendredi un palmier, des tomates, un cactus, de la coriandre et du persil. Ainsi qu’un pin maritime. Celui-là vient du supermarché. Haut de dix centimètres, il était présenté dans un carton échancré. Je comptais vingt cartons du même type côte à côte rangés comme des chocolats dans une boîte. Le rapport entre la standardisation, le rangement et le fait qu’il y ait là quelque chose de vert, qui pousse et grandit sollicitait l’imagination. Au déballage, je vis que ses racines trempaient dans un sachet de gel bleu. A ce jour, j’ignore s’il est vivant.
Promesse de bonheur
Une fête réunissait tous mes amis, jusqu’aux plus anciens, camarades de jeu et d’école. Comme je déambulais parmi eux, je remarquais en outre des voisins, et d’abord ce couple de paysans aux habits frustes. Les caractères des uns et des autres m’apparaissaient avec netteté, mais à la vue de cette galerie je ressentais un grand ennui ne sachant pourquoi, depuis le temps que je me tenais à l’écart de la société, j’avais soudain accepté d’organiser cette soirée. Cependant, je m’acquittais de ma tâche d’hôte, veillant à ce que chacun, selon son bon plaisir, puisse boire, échanger, dormir, se promener, faire du sport ou vomir. Je m’arrêtais devant K. Assis sur la banquette d’un compartiment lui faisaient face les deux paysans. “Mon dieu, me disais-je, s’ils ne trouvent rien à dire à ce malheureux K. qui est le plus simple de mes amis, qu’en sera-t-il des autres?” Et, plus ennuyé encore, je me réjouissais du moment où tous partiraient, disparaîtraient pour ne plus reparaître. Comme s’ils avaient compris, tous empruntaient à la queue-leu-leu un pont naturel en forme d’arche conduisant à travers le ciel sur la place d’un village de montagne entouré de granges et de chalets où la vie s’écoulait selon la tradition et je marchais à leur suite, pris de vertige mais fasciné .
Le lendemain, je lis Depuis Sils-Maria d’Adorno: “Depuis les hauteurs, les villages ont l’air mobiles, sans fondations, comme posés là par une main légère. Il ne émane une promesse de bonheur semblable à celle du jouet qui éveille des fantasmes de géant: on pourrait en faire ce que l’on veut.”
Axarquia
Sous la route côtière, alors que celle-ci enjambe un des nombreux ruisseaux qui descend des hauteurs de l’Axarquia pour se jeter dans la mer à travers la plage, un restaurant, plus exactement un “chiringuito”, une sorte de bar à grillades comme il en existe des milliers. Sauf que celui-là a disposé ses tables entre les piles de soutènement du pont de sorte que pour manger leurs sardines les clients doivent baisser la tête. Hier, à quatre heures, un vent soufflait du large, les familles se bousculaient pour déjeuner sous la route.