Mois : mars 2016

Automatisme

A soix­ante mille années lumière de l’orbe ter­restre, la navette sous pilotage automa­tique iden­ti­fie une men­ace. Elle expulse alors dans l’e­space tous les cof­fres d’hiber­na­tion qui con­ti­en­nent l’équipage.

Soi

A l’avenir, chaque auto­bi­ogra­phie sera à la fois orig­i­nale et celle de tout le monde.

Horloge

Vivre seul et en soli­taire est par­fois pesant. Il faut occu­per tous les moments du jour. L’én­ergie que cela exige, et la fatigue. Mais la sat­is­fac­tion d’avoir aboli la course con­tre le temps est sans com­mune mesure. A toute heure pou­voir ren­tr­er ou sor­tir, pro­longer une réflex­ion ou s’en­dormir est une bénédiction.

Internet

Recevoir des let­tres qui ne sont que des col­lages de références pris­es sur inter­net est angois­sant. De l’in­ter­locu­teur, il ne reste que la signature.

Cocteau

Adorno note: “Cocteau, de sa plume experte, écriv­it que Niet­zsche avait cer­taine­ment for­mé son juge­ment sur la lit­téra­ture française d’après les ray­on­nages de la librairie de la gare de Sils-Maria. Or il n’y a à Sils ni train, ni gare, ni librairie de gare.”

Disco

Hier, je pédalais sur un vélo sta­tique au milieu de vingt per­son­nes dans une salle souter­raine trans­for­mée en dis­cothèque. Le vélo du chef de groupe est mon­té sur estrade afin que cha­cun puisse suiv­re la don­née d’or­dres. Il crie les vitesses et les cadences. Il mélange les sons du bout des doigts sur une table de mix­age, pour motiv­er la troupe il ne cesse de mon­ter le son. Dès le début de la séance, j’en­fonce des tam­pons dans les oreilles. Vers la fin, il faudrait un casque d’avi­a­teur. Dans les haut-par­leurs, le chanteur hurle en espag­nol: Deux jours à t’at­ten­dre dans ce bar, je dés­espèèèèère! Jamais je n’au­rai cru que ce serait si douloureu-eu-eux!

Plantes

Cette habi­tude des bour­geois du dix-neu­vième d’her­boris­er. Gide racon­te ces prom­e­nades savantes, mais note peu de choses sur ses trou­vailles; Calaferte est à demeure, mais nous con­vie à regarder pouss­er les fleurs et plantes de son jardin. Lorsque je lis son jour­nal, je saute ces pas­sages. Et voici que j’ai acheté à un pépiniériste qui tient un stand au vil­lage le ven­dre­di un palmi­er, des tomates, un cac­tus, de la corian­dre et du per­sil. Ain­si qu’un pin mar­itime. Celui-là vient du super­marché. Haut de dix cen­timètres, il était présen­té dans un car­ton échan­cré. Je comp­tais vingt car­tons du même type côte à côte rangés comme des choco­lats dans une boîte. Le rap­port entre la stan­dard­i­s­a­tion, le range­ment et le fait qu’il y ait là quelque chose de vert, qui pousse et grandit sol­lic­i­tait l’imag­i­na­tion. Au débal­lage, je vis que ses racines trem­paient dans un sachet de gel bleu. A ce jour, j’ig­nore s’il est vivant.

Promesse de bonheur

Une fête réu­nis­sait tous mes amis, jusqu’aux plus anciens, cama­rades de jeu et d’é­cole. Comme je déam­bu­lais par­mi eux, je remar­quais en out­re des voisins, et d’abord ce cou­ple de paysans aux habits frustes. Les car­ac­tères des uns et des autres m’ap­pa­rais­saient avec net­teté, mais à la vue de cette galerie je ressen­tais un grand ennui ne sachant pourquoi, depuis le temps que je me tenais à l’é­cart de la société, j’avais soudain accep­té d’or­gan­is­er cette soirée. Cepen­dant, je m’ac­quit­tais de ma tâche d’hôte, veil­lant à ce que cha­cun, selon son bon plaisir, puisse boire, échang­er, dormir, se promen­er, faire du sport ou vom­ir. Je m’ar­rê­tais devant K. Assis sur la ban­quette d’un com­par­ti­ment lui fai­saient face les deux paysans. “Mon dieu, me dis­ais-je, s’ils ne trou­vent rien à dire à ce mal­heureux K. qui est le plus sim­ple de mes amis, qu’en sera-t-il des autres?” Et, plus ennuyé encore, je me réjouis­sais du moment où tous par­ti­raient, dis­paraî­traient pour ne plus reparaître. Comme s’ils avaient com­pris, tous emprun­taient à la queue-leu-leu un pont naturel en forme d’arche con­duisant à tra­vers le ciel sur la place d’un vil­lage de mon­tagne entouré de granges et de chalets où la vie s’é­coulait selon la tra­di­tion et je mar­chais à leur suite, pris de ver­tige mais fasciné .
Le lende­main, je lis Depuis Sils-Maria d’Adorno: “Depuis les hau­teurs, les vil­lages ont l’air mobiles, sans fon­da­tions, comme posés là par une main légère. Il ne émane une promesse de bon­heur sem­blable à celle du jou­et qui éveille des fan­tasmes de géant: on pour­rait en faire ce que l’on veut.”

But

L’en­fant, à peine plus haut que le bal­lon de foot devant lequel il se tient:
- Je suis plus que que sûr de le met­tre!
Il se pour­rait qu’il réus­sisse, il n’y a pas de but.

Axarquia

Sous la route côtière, alors que celle-ci enjambe un des nom­breux ruis­seaux qui descend  des hau­teurs de l’Axar­quia pour se jeter dans la mer à tra­vers la plage, un restau­rant, plus exacte­ment un “chirin­gui­to”, une sorte de bar à gril­lades comme il en existe des mil­liers. Sauf que celui-là a dis­posé ses tables entre les piles de soutène­ment du pont de sorte que pour manger leurs sar­dines les clients doivent baiss­er la tête. Hier, à qua­tre heures, un vent souf­flait du large, les familles se bous­cu­laient pour déje­uner sous la route.