Je publie sur internet des photographies de mon appartement en vue d’une échange. Je précise: “intéressé ni par la France ni par la Hollande”. Un heure plus tard, un Français propose sa villa dans le Sud.
Mois : mars 2016
Plages
Vingt plages s’étendent de chaque côté de mon immeuble. Il y a celle des chats. Les poissons se méfient, les chiens l’évitent. Il y a celle des touristes, près de la jetée où accostent les bâtiments de croisière. Quand on y voit de baigneurs, c’est que l’eau est trop froide. Celle des kit surfers: leur présence indique qu’on ne peut faire ni kayak ni surf. Quant à la plage protégée par la grotte de la Vierge, les jours où elle est fréquentée, il faut éviter de faire du vélo: le sable vole.
Nous autres 2
“Traitons à l’acide l’idée de “droit”. Les plus sages des anciens savaient déjà que la force est la source du droit et que celui-ci n’est qu’une fonction de la force. Supposons deux plateaux de balance; sur l’un se trouve un gramme et sur l’autre une tonne, je suis sur l’un, et les autres, c’est à dire “Nous”, l’État Unique, sont sur l’autre. N’est-il pas évident qu’il revient au même d’admettre que je puis avoir certains “droits” sur l’État Unique que de croire que le gramme peut contrebalancer la tonne? De là une distinction naturelle: la tonne est le droit, le gramme le devoir. La seule façon de passer de la nullité à la grandeur, c’est d’oublier que l’on est un gramme et de se sentier la millionième partie d’une tonne.” Eugène Zamiatine, Nous autres.
Nous autres
“Je marchais au pas avec les autres, mais, malgré tout, à part des autres. Je tremblais encore de ma dernière émotion comme un pont sur lequel vient de passer, en tonnant, un ancien train de chemin de fer. J’avais conscience de moi. Or, seuls ont conscience d’eaux-mêmes, seuls reconnaissent leur individualité, l’œil dans lequel vient de tomber une poussière, le doigt écorché, la dent malade. L’œil, le doigt, la dent n’existent pas lorsqu’ils sont sains. N’est-il pas clair, dans ce cas, que la conscience personnelle est une maladie?” Eugène Zamiatine, Nous autres.
Nuit sur la côte
Immense ciel rose sur la ville. Le quai ressemble à une aventure sans fin. Les promeneurs baissent la voix. Dans cette lumière profonde, les silos du port ont la taille de dés à coudre. Incertains de l’heure, des jeunes gens sont assis à demi-nus sur des serviettes de bain. Près de l’Alameda, la grande roue est à l’arrêt. Ses nacelles éclairées sont suspendues sur l’horizon. La nuit monte tandis que je roule sur les trottoirs du Pedregal. Pour gagner de vitesse les voitures, je brûle les feux rouges. Elles me rattrapent, s’entassent, redémarrent. Sur la plage, j’aperçois l’enseigne du restaurant Pontegordo (deviens gros!), plus loin, la pépinière. Un couple discute devant un massif de cyprès. La route rétrécit, se love contre la falaise, longe la station-service. Je jette une œil au bâtiment d’habitation: il s’élève entre les pistes de la route. Qui peut vivre là? Au troisième étage, j’aperçois de la lumière derrière les stores. Tantôt, Raul m’a dit que c’était là son quartier. Quel quartier? C’est le chas de l’aiguille. Quelques kilomètres de plus et j’atteins la discothèque Para vernos mataos (pour nous voir entretuez-vous!). Son rideau de fer est baissé. La route tremble un peu et s’enroule autour d’un piton autrefois marin. C’est là que je bifurque. Le sentier est jonchée de cailloux. Mon phare éclaire un chien. Puis apparaît la cimenterie. Ses machines occupent toute une crique. Cheminées, hangars, tapis roulants s’agitent contre la nationale. Plus haut, la montagne entamée crache de la poussière, des grues sont accrochées au ciel. Au milieu, un tube géant tourne nuit et jour. Il ronfle et tousse. D. me faisait remarquer qu’on ne voit jamais d’ouvrier. En revanche, il y a des pique-niqueurs. Ils mangent dans la nuit. Au bout de la plage, campés sous des parasols publicitaires, observant leur lignes dont le fil se perd dans une mer d’encre, des pêcheurs s’apprêtent à dormir dehors.