Au large de l’île de Kut sur un bateau de bois. L’instructeur de plongée a le dos couvert de tatouages sacrés. Si je déchiffre bien, de l’hindi. Le soleil peine derrière les nuées matinales, la côte est verte, plantée de cocotiers. J’enfile des palmes, saute à l’eau, nage. Un liséré d’écume signale une roche au milieu du flot. Je renonce au masque et au tuba, passe mes lunettes de piscine, pique un crawl. Des bancs de poissons nichent dans les défilés: à mon apparition ils s’envolent. Le couple français me rejoint. Le courant ballote de gros oursins — les mêmes qu’à Wai. Leurs yeux d’argent nous observent. Mais la visibilité est trop faible, je me lasse, je retourne au bateau. Le capitaine, un thaï somnolent, écoute son walkman. Les autres sont à l’eau. Couché sur le pont supérieur, je dors. Le couple français revient, repart. Plus tard, des bulles montent à la surface. Lorsque les plongeurs émergent, ils consultent leur montres: soixante-trois minutes. L’instructeur vit dans une maison d’emprunt propriété de restaurateurs qui tiennent une table de renom dans le Loire. Le Suisse est marchand de piscines. Quand il neige sur les Alpes, il plonge à Ko Kut où en mer d’Andaman. Pendant le repas, l’instructeur insiste pour me faire passer un second baptême de plongée. Je n’y tiens pas. Il insiste. Je donne mes raisons: il y a huit ans, en mer rouge, un Egyptien m’a mis les bombonnes sur le dos et sans autre préavis, poliment, m’a poussé à la mer. Je suis descendu comme une enclume. A huit mètres. Et comme je lui demandais à remonter, usant du signal convenu, un pouce à l’endroit, il m’a fait voir un pouce à l’envers, lequel signifie: “on descend”. D’ailleurs, les poissons ne me passionnent pas. J’aime l’eau, le bateau, les spectacles de surface. J’aime nager. Surtout en rivière. Il me plaît d’avoir rapport au ciel et au paysage. Le repas fini, les autres enfilent leurs combinaisons, sautent, s’enfoncent dans la mer. Je me recouche. Dans l’après-midi, ordre est donné au capitaine de nous ramener su terre ferme. Il lance le moteur. Le moteur cale. Il bidouille. Nous écoutons les bruits qui montent de la cale. Il frappe du marteau et fait des étincelles. Le moteur refuse de partir. Ces gens sont impayables. Ce matin déjà, le bateau toussait Tout le jour le capitaine à somnolé, maintenant, nous sommes en rade. Une demi-heure passe. Le Suisse suggère à l’instructeur d’aller voir. Celui-ci, prudent:
- Tu sais comme ils sont?
- Comment sont-ils? Dis-je.
“Ils se vexent”, m’explique-t-on. Ne pas savoir est honteux. On doit savoir. Qu’un étranger fasse une remarque, le thaï se rebiffe, il vous traite d’étranger.
- Intéressant, dis-je.
- Oui, dit l’instructeur, mais ennuyeux.
- Fatigant, ajoute le Suisse.
- Tu vois, me dit l’instructeur, quand je vois qu’ils allument leur barbecue en faisant fondre une sandale en caoutchouc, je réfléchis à la meilleure manière de leur faire remarquer qu’ils vont s’intoxiquer. Si je ne trouve pas, j’en suis quitte pour sauter un repas.
Cependant, le moteur râle et tousse.
- Là, ils s’occupent du moteur. Cela pourrait durer plusieurs jours. Il ne leur viendra pas à l’idée qu’il faut s’occuper des clients.
A la fin, l’instructeur pousse une tête côté moteur. Le capitaine apparaît. Nonchalant, il appelle la côte. Un navette vient nous prendre.
Le capitaine:
- Qu’est-ce qu’on ramène d’abord, le pique-nique et les bouteilles ou les clients?
(Et le soir, dans un restaurant de Ao Noi adossé à la forêt, la gamine nous présente un barracuda, le tranche. Son mari pose le bébé et allume le brasero. “Qu’est-ce que c’est?” s’exclame Gala en se bouchant les narines. “Du pneu”, lui dis-je.)