Chats

Le matin, nous par­tons en moto sur la route de forêt. Je ma gare devant l’épicerie. De l’autre côté de la route, au milieu des draps qui sèchent, devant sa maison­nette de tôle, la grand-mère pousse un cri qui veut dire, j’imag­ine, “les voici!”, ou quelques chose d’ap­prochant. Et en effet, le neveu, celui qui tient le restau­rant, en haut de la colline, s’ex­trait des plantes, un arrosoir à la main, et salue. Nous mon­tons trois march­es, nous déchaus­sons, nous sommes sur la ter­rasse du café. Les qua­tre tables de bois sont à notre dis­po­si­tion. Une grosse fille à la chevelure cen­drée, peut-être améri­caine (de ces filles qui n’ont pas besoin des hommes) boit par­fois un frap­pé au con­com­bre, mais à cette heure-ci, dix heures bien son­née, elle est par­tie. La ten­an­cière approche car­net en main. Nous lui deman­dons quel fruit elle a aujour­d’hui (cela varie: une mangue, deux oranges, un ananas), puis elle pré­pare le petit-déje­uner. Elle le sert dans l’or­dre des pré­parat­ifs. Les cafés d’abord, les œufs ensuite, les toasts et les fruits enfin, et si l’on com­mande un sec­ond café, elles les met en liste d’at­tente. Nous patien­tons en étu­di­ant les chats. Ils sont sept, nés de la même mère, autour de Noël, et iné­gaux: par la couleur, la four­rure, le car­ac­tère. Mais surtout, par la san­té. Le noir est le plus vigousse. Prénom­mé Blanche-neige, il gam­bade, joue, court, grimpe, saute. Le tigré est le moins bien doté. Jamais je n’ai vu un chat aus­si amor­phe. Appor­tant le sec­ond café, la ten­an­cière con­firme: “hier, je le regar­dais, il n’a pas bougé pen­dant une heure, je l’ai poussé de la pointe du pied, j’ai cru qu’il était mort.” En ce moment, il est sous notre table. Couché est peu dire, étalé. La peau des pattes est rose, noire chez les autres; le pelage hir­sute, fourni chez les autres. Soudain survient le chat gris, il mord la queue du chat tigré, et tire, l’autre se laisse traîn­er. Le spec­ta­cle fini, nous allons à l’épicerie. Assise sous ses draps, de l’autre côté de la route, la grand-mère pousse un cri (qui veut dire, j’imag­ine, “les re-voici!”), et d’une cui­sine en plein air sur­git une ado­les­cente, la fille de la ten­an­cière du café, habil­lée de manch­es longues, por­tant la cagoule et les gants (plus la peau est fon­cée plus l’ex­trac­tion sociale est basse) pour nous fournir en eau et en bière.