Nos habitudes sont prises. Le petit-déjeuner dans la salle aux cent tables. A choix, omelette, œufs frits ou brouillés. Le café âpre, velu, qui coule dans la gorge comme une encre chaude. Les tranches de focaccia que l’on glisse dans le toaster à mouvement perpétuel, puis le buffet thaï, riz frit, vermicelles, poulet au gingembre; évitons les phô chinoises. Ensuite, les toilettes. Elles sont si loin de la réception, que le personnel oublie de les éclairer. Actionnant l’interrupteur, je tire du néant douze cabines de marbre, sept pissoirs et autant de lavabos, puis je reprends l’ascenseur de verre où joue une musique de piano, et m’élève. De la chambre, nous voyons le parc aromatique. Munis de balais courts, des ouvriers à chapeaux coniques chassent les feuilles. Vers la rivière, des métallos encagoulés soudent un parallélépipède de la taille d’un bâtiment. A quoi servira-t-il? Un support de terrasse à installer sur les berges? De fait, en aval, un grue nivelle la terre meuble .
Il est dix heures, je me rends à la piscine.
Dimanche, un gardien s’est tenu sur sa chaise, devant le bassin, du matin jusqu’au soir. “Pas de touristes!”, ai-je fait remarquer. Il m’a répondu que les enfants étaient peut-être à l’école. Et comme désormais c’est la semaine, que les enfants y sont, à l’école, le gardien a congé. J’organise mes tables, mes boissons, mes prises électriques, mes livres et des serviettes de bain. Trois étages plus bas, j’aperçois Gala qui saute sur un vélo et va manger un riz. A quinze heures trente, j’essaie de nouvelles figures dans un coin ombragé: coup de pied direct extérieur couteau, libération contre saisie arrière mains tenues ou parade avec revers poing tourné. Puis, fraîchement douchés, nous sortons, passons le pont, gagnons le plan d’eau municipal. Deux cygnes de plâtre mêlent leurs becs, un jet d’eau décoratif propulse une gerbe de dix mètres. Dès cet instant, la séquence a tout du filage théâtral: sur le quai inférieur le vieillard qui fait son jogging, en haut les marchandes de chaussettes, sur le quai inférieur les amoureux de vingt ans qui promènent leur premier enfant, en haut le préposé au charbon. Nous prenons place autour de la table de barbecue. Venus dès la sortie des classes, quelques écoliers en uniforme attisent leur baseros, se servent au buffet. La serveuse apporte la Léo et demande “combien de bouteilles dois-je enfoncer dans la glace ce soir?” Dans le parc, sur la quai opposé, la gymnastique collective commence. Trente femmes dansent sur un rythme techno. Dans le ciel surgit le petit porteur d’Air Asia. Sur la passerelle, les familles jettent des toasts aux poissons. Le soleil se couche. Quand la musique s’arrête, en face, dans le parc, il est six heures. L’avion d’Air Asia repart pour Bangkok. L’homme qui porte le T‑shirt Military passe devant les braseros et salue. Nous cédons la place aux écoliers qui attendent les tables, nous regagnons l’hôtel.