Passé le col de Phu Ruea, les versants de la montagne se garnissent de pots de fleurs. Les horticulteurs émondent, greffent, rempotent. Arbustes et fleurs sont livrés aux municipalités, aux écoles, aux casernes. Par milliers, ils dévalent en plaine. Tressés, composés, agencés par les jardiniers municipaux, ils serviront la gloire du roi. Nous roulons en direction de Phitsanulok. Industrieuse, concentrée, la population qui travaille aux abords de la route n’a pas un regard pour notre bus. Une casquette tirée sur le nez, le tour de cou au-dessus des oreilles pour me prémunir de l’air froid qui circule sous le plafonnier et, par la même occasion, des odeurs nauséabondes qui s’échappent des toilettes embarquées, j’admire la rigueur des hameaux: tenus par les horticulteurs, ils ont la rectitude, la mesure, la taxinomie des parterres de végétaux. Soudain la nuit tombe (à 17h30), aussitôt de longues flammes embrasent la montagne. A Gala, je fais remarquer ce feu. Il roule sur les sols, dévore la forêt. Je crois à un accident. Mais, ce ne sont pas une ou deux montagnes qui flambent, c’est le paysage entier. Et le chauffeur qui lambinait dans l’ascension met plein gaz. Nous naviguons dans une fumée grise. Les reliefs s’estompent, s’annulent. Ce feu est d’une technique de défrichement sauvage. Les aplats laissé en jachère finissent par recevoir des pousses de palmes destinés à la production d’huile, m’a-t-on expliqué l’an dernier, aux abords de Mae Hong Son. Des décrets de police pénalisent ces pratiques; elles perdurent. Mais ici, le phénomène prend une ampleur sacrée. Tandis que nous avançons vers la ville, je me perds en hypothèses: le feu est partout. Au pied des maisons, les familles allument des foyers, croisent les bras, ouvrent grand les yeux. Plus loin, un gosse s’amuse devant le flammes, des adolescents courent dans des fosses embrasées. Si je jette un œil au sommet des collines, je retrouve le feu. Il serpente, se love, bondit, couche les arbres, crache contre le ciel. Le bus crève l’écran des fumées. Il ne ressortira de cet enfer gris que dans les faubourg de Phitsanulok, lorsque la végétation le cède au béton.