Cinéma

Dans une salle de ciné­ma à l’an­ci­enne, avec gradins et bal­cons, est pro­jeté un film de ciné­math­èque. Un pub­lic d’a­ma­teurs suit les tribu­la­tions d’un jeune japon­ais. Soudain, rup­ture de la pel­licule. Le pro­prié­taire des lieux appa­raît en scène, ras­sure: “don­nez-nous une minute!” En effet, le film reprend. Cepen­dant, j’ai quit­té mon fau­teuil, je me tiens à côté de l’écran. Con­scient que je pour­rais gêné les autres spec­ta­teurs, je me pousse con­tre le mur. Un homme occupe aus­sitôt la place. Je joue des coudes et me place devant l’écran, puis je pénètre dans l’im­age. L’un des acteurs du film me bous­cule. Il se retourne, me dévis­age, fais un pas en arrière, recom­mence sa tirade.  “Ne vous inquiétez pas, me souf­fle le réal­isa­teur, il fait tou­jours ça”.Je me con­cen­tre sur l’his­toire. Le jeune japon­ais entre dans un restau­rant japon­ais. Un cuisinier toqué hache des herbes aro­ma­tiques. Un soupir monte dans la salle: “c’é­tait donc ça! Le jeune japon­ais, de retour du front, à marché des semaines pour arriv­er là, dans ce restau­rant, devant ce plat et manger!” Fin du film. La foule se presse vers les sor­ties. J’at­tends Gala à l’ex­térieur. Elle ne vient pas. La foule se dis­perse. Il pleut. Qua­tre espag­nols bat­tent la semelle sur l’e­s­planade. Ils deman­dent du feu. Je dis quelques mots dans leur langue. L’un des garçons est argentin. Qu’il ne soit pas espag­nol, me rend nerveux. Ces voy­ous expliquent qu’ils vont faire la fête. Qu’ils boiront, qu’ils dormiront. Je con­sid­ère la ville qui nous entoure: déserte, plu­vieuse, hos­tile. De plus, nous sommes lun­di: tout est fer­mé.  Je m’é­clipse. Je ren­tre dans la salle de ciné­ma, con­tent de m’en être tiré à si bon compte. Le réal­isa­teur range les câbles. Pas trace de Gala. Elle a dû ren­tr­er seule à la mai­son — cela lui ressem­ble. Je descends la Gran Via en glis­sant sur mes tongs. J’ai con­science que la semelle de droite n’est pas plane, mais avec la quan­tité d’eau qui dévale sur les trot­toirs, je réus­sis un surf par­fait. En revanche, je ne suis pas sûr de ma direc­tion. Je biaise. Il faudrait suiv­re l’av­enue prin­ci­pale pour débouch­er en pleine lumière, sur la place d’Es­pagne. Or, je tire vers l’ouest, les petites rues, les quartiers inter­lopes. Me voici sur un sen­tier en cor­niche.  A l’hori­zon, un bidonville. Il faut rebrouss­er chemin. Je ne glisse plus, je marche. Des con­com­bres des mers jonchent le sol. Et de ser­pents. Puis des sauciss­es, de longues sauciss­es de porc rouge. Pour éviter de pos­er pied, je sautille.