Sainte-Croix des Neiges

Dans le val d’Abon­dance pour la journée des par­ents de Sainte-Croix des Neiges. Aplo nous attend pour deux heures. Olof­so arrive de Genève dans la voiture héritée de son père, un véhicule blanc de la taille d’un dé. Mon­frère me prend à Vevey et me con­duit sur place. Aupar­a­vant, nous déje­unons à La Chapelle, aux Cor­nettes de Bis­es. Il est midi passé de dix min­utes lorsque nous faisons irrup­tion dans la salle: elle est com­plète.
- Mais il y a le restau­rant, annonce la jeune fille.
Nous pas­sons par les cuisines. Un mar­mi­ton net­toie un tas de chanterelles. Nous débou­chons devant la récep­tion, pénétrons dans une salle de trente tables. Les cou­verts sont mis: nappes de coton, ver­res à vin, ver­res à eau, argen­terie. Une table de six per­son­nes inter­rompt son tra­vail à notre entrée: des vil­la­geois qui tri­ent les chanterelles. Au jugé, je dirais qu’ils ont en main dix kilos de cèpes. Nous prenons place à l’é­cart. Je me rends aux toi­lettes. Les menus con­tre la poitrine, la jeune fille qui nous  a accueil­li annonce qu’elle nous cher­chait. J’indique la salle.
- Oh! Là, vous auriez pu atten­dre longtemps! Il n’y a pas de ser­vice à ces tables.
Elle nous emmène dans une autre par­tie du restau­rant. Sol de pierre verte, bois­erie de chalet, fers lus­trés, bat­ter­ies de cuiv­re et per­son­nel nom­breux. Vingt clients; d’autres s’in­stal­lent. Un cou­ple s’assied à la table voi­sine.
- Là, elle est là, dit soudain la femme. Tu la vois?
Je me lève: c’est une mar­motte. Immo­bile, sur un rocher, der­rière la baie vit­rée.
- Une jeune, com­mente l’homme.
- Elle serait pas empail­lée, je demande.
- Non, non!
- Mais elle ne bouge pas!
Au même moment, elle file. Le serveur m’ap­porte un plateau char­cuti­er: saucis­son noir, jam­bon cru, ron­delles de cochon­naille, lard fumé, couenne de jam­bon fumé, une salade en pots, deux cent grammes de beurre, un bocal de cor­ni­chons, un autre de champignons, un de carottes et piments saumurés — l’en­trée.
Arrive un cou­ple avec enfant. Qua­tre per­son­nes en réal­ité, car le cou­ple est accom­pa­g­né d’un mon­sieur plus âgé, le père de l’un des con­joints. Celui-ci s’assied et con­sulte la carte des vins. La mère fait apporter une chaise de bébé, le père exige une san­gle. Il manip­ule l’en­fant, défait la san­gle, tente de la pass­er sur les épaules du gosse, renonce, recom­mence, donne l’en­fant à sa femme qui veut l’asseoir, change d’avis, le pose sur une chaise, le relève, le place sur son épaule, reste debout et le passe à son mari. Au bout de cinq min­utes de ges­tic­u­la­tion, les par­ents sont dans la même sit­u­a­tion qu’à leur arrivée: habil­lés, indé­cis. Et le gosse joue son avan­tage. Il ne veut pas. Quoi? Tout, rien. Il ne veut pas et le fait savoir, il crise.
- Un vrai petit mon­sieur, s’ex­clame le père. L’im­bé­cile. De cinquante ans, devrai-je pré­cis­er. Car nous en sommes là: des puceaux se décou­vrent une viril­ité sur le tard, mari­ent des vielles filles et s’imag­i­nent en état de grâce. Pau­vres enfants.