Mémoire

Dans un grand mag­a­sin, au ray­on jou­ets. Appuyés con­te une colonne, trente bobs rouges. J’en attrape un, le trou­ve petit; un autre est trop large. J’imag­ine les enfants: le poids, la stature, l’al­longe des jambes. A la caisse, je demande des ren­seigne­ments. Le vendeur me remet une feuille de papi­er et un sty­lo. Je dois inscrire des fig­ures dans un paysage dess­iné. Par­mi celles-ci un cheval. Je le tourne entre mes doigts. Comme pour le bob, la solu­tion m’échappe. Plutôt que de m’avouer vain­cu, j’es­saie de me per­suad­er qu’une méth­ode sim­ple peut venir à bout du prob­lème. D’ailleurs, il s’ag­it d’une sorte de test de Rorschach. La marge d’in­ter­pré­ta­tion est plus lâche qu’il n’y paraît. Mais aus­si, pourquoi en pass­er par là? Ne suis-je pas client? C’est au vendeur de tra­vailler! Je pose le sty­lo et m’en vais. En pro­lon­ga­tion des jou­ets, une salle de fit­ness rem­plie de machines. Les clients péda­lent, courent et soulèvent en silence. Je monte sur un vélo, mais suis gêné par le man­teau de four­rure, l’écharpe, la chap­ka, les gants. De plus mon pied glisse sans cesse hors de la pédale.J’emprunte alors une passerelle au-dessus du vide. J’y croise une femme. Elle tient par la main un gosse de deux ans.
- Tu me recon­nais? demande-t-elle.
Je souris.
- Tu ne me recon­nais pas ?
La femme est blonde, refaite. Au-delà des apparences, je cherche une fille aux cheveux noirs, un vis­age naturel. Je baisse les yeux sur l’en­fant: “tiens, elle a fait venir un Africain, me dis-je. Aucune chance que je retrou­ve les traits de la mère en scru­tant le vis­age du gamin”.