En fin de compte, ce chilien bedonnant est un rigolo. Mais, loi du groupe oblige, il ne fait rire personne. A à la mi-étape, debout dans nos cuissards, nous prenons le repas au bord d’un lac, buvons abondamment, mangeons des salades de pâtes et chacun commente le passage du col de Peyresourde, inquiet à l’idée d’avoir encore à gravir l’Aspin qui cumule 12 kilomètres de montée. Cependant, le chilien Diego dort dans un champ de l’autre côté de la route. Javier nous dit qu’il est rentré à cinq heures du matin.
- Qu’a-t-il bien pu faire à Viella?
J’ai déjà dit le peu d’attrait apparent de ce village de montagne catalan.
- Il a réussi à se faire inviter à une fête privée!
Arrivé en camionette, il repart en camionnette tandis que nous abordons à dix la traversée des grands cols. C’est alors que je m’avise que nous sommes en France. Où je n’ai pas le droit d’aller. Je prie la masseuse, Teresa, qui est aussi la responsable de l’intendance et s’occupe de préparer les chambres où nous dormirons, de ne pas mentionner mon nom à la réception de l’hôtel. Elle fait remarquer que si les hôteliers espagnoles photocopient les papiers d’identité des clients et les transmettent aussitôt à la garde civile, il n’en va pas de même en France. Et en effet, dans cet hôtel en plastique que l’ancien champion du tour de France Laurent Fignon a fait construire à la périphérie de Bagnères-de-Bigorre, il n’en sera jamais question. Après la douche, Monfrère et moi allons en ville. Il y a trois ans que je n’ai pas remis les pieds dans ce pays. Images connues de ces périphéries de petites villes: façades borgnes, immeubles tristes, vitrines crasseuses et une boulangerie. A l’enseigne du café Mac-Mahon un couple de retraités sourd et charmant nous sert de la Stella Artois en bouteille. Nous poussons un peu plus loin et tombons sur un marché folklorique qu’arpentent des Hollandais voyageant en caravane. Monfrère veut acheter des pétards du 14 juillet. Le bureau-tabac lui répond que, désormais, c’est interdit. Au supermarché, où nous prenons des bières, le gérant nous aprend que Laurent Fignon était un con.
- Surtout avec les femmes!
Derrière l’autre caisse, sa femme, une blonde fatiguée approuve.
Et pendant tout ce temps, un chien errant, de ceux qu’on imagine abandonné par une famille partant en vacances, nous suit, traversant et retraversant la nationale devant les voitures.