Conversation

Ambiance nou­velle qui s’in­stalle entre Aplo et moi pour ce qui est de la vie quo­ti­di­enne. Nous vaquons à nos occu­pa­tions, nous nous croi­sons dans l’ap­parte­ment. Il va à l’é­cole, je vais à ma table de tra­vail. Je cui­sine, nous man­geons en silence il débar­rasse la table. Comme si la parole, six mois après son emmé­nage­ment ici, sur la colline, à Fri­bourg, s’é­tait tarie. Où est-ce l’âge? L’ado­les­cence? Ce régime de ques­tions sans répons­es? Cet inter­valle périlleux entre l’en­fance et la vie adulte qui met à dis­tance des autres et d’abord des par­ents? Sen­sa­tion de rup­ture qui s’a­joute en ce qui me con­cerne à cette con­vic­tion quo­ti­di­en­nement étayée par des exem­ples nou­veaux d’un régime de vie sans con­ver­sa­tion. Il serait plus juste de dire, au sens grec: dis­cus­sion. De fait, un lan­gage fonc­tion­nel, opéra­toire, supra-indi­vidu­el rem­place peu à peu la parole liée au car­ac­tère, à la per­son­nal­ité, à l’ex­pres­sion des désirs, à la recherche de la vérité. Cela me mar­que plus que je ne veux bien le dire. D’ailleurs, ce lun­di, comme je cor­rigeais une fois de plus, sur la ter­rasse bondée du café de l’An­ci­enne Gare, un des chapitres du roman qu’écrit la jeune S.,  je me lais­sais aller aux spécu­la­tions, nouant esthé­tique et morale, con­scient que je fai­sais les ques­tions et les répons­es, m’ex­cu­sant bien­tôt d’ac­ca­parer la parole, mais, en fin de compte, de retour à ma table de tra­vail, heureux comme si un événe­ment avait brisé cette exis­tence monot­o­ne des indi­vidus ordon­nés au rythme indus­triel des machines.