Sur la jetée, une femme aux cheveux longs, aux longues jambes, mange une soupe. Plus loin, une musulmane grille des filets de poisson sur une demi-tonneau de braise. Deux hommes jouent au Mahjong torse nu. Tout cela dans une atmosphère abstraite. Je fais quelques pas. Un navire militaire au canon bâché de noir est amarré en bout de jetée; debout devant les piles, des paysannes de la mer descellent au couteau des coquillages. La côte est semée de palmiers, c’est marée basse et les plages montrent un sable couleur rouille. Inutile de poser une question en anglais. Mieux vaut attendre qu’on me demande ce que je veux. D’ailleurs, si le bateau est bien à 16h00, je suis en avance. Je pars en promenade. A mon retour, même ambiance. La femme aux longues jambes a disparue, les joueurs dorment allongés sur un banc de pierre. Je fais une autre promenade. A mon retour, je découvre un yacht aux lignes épurées. Un blanc est en train de négocier son billet avec le marchand de soupes. Il est soulagé que je veuille aussi me rendre à Wey. Le capitaine ne fait pas le détour pour un seul passager, m’explique-t-il. Nous partageons les frais.
-Vous êtes déjà allé à Wey?
- Non.
L’homme est grand, large, il a le menton carré, les cheveux en brosse. Il est Hollandais Je remarque sa montre.
- Une Braun? Comme la marque d’électroménager?
- Steve Jobs aimait beaucoup le design de leurs frigidaires. Mon nom est Crank.
On nous embarque alors avec douze Thaïs sur le yacht. L’assistant distribue des gilets de sauvetage. Mieux vaudrait distribuer des tampons: les deux moteurs qui propulsent le bateau font un bruit d’usine. Il faut dire qu’il sont efficaces: un heure plus tard, nous accostons un ponton de planches. Crank me hisse.
- Tu sais où dormir?
- Non.
- Alors il faut que tu ailles par là.
- Tu restes combien de temps dans l’île?
- 80 jours.
Et il disparaît dans la forêt.
J’emprunte un sentier qui amène à une plage bordée de palmiers. Dans leur ombre, en retrait, une cabane à ciel ouvert. La chaleur est écrasante. Un Thaï balaie le sable. Je lui demande que faire? Il me fait signe qu’il ne faut pas parler et indique une panneau accroché à l’entrée de la cabane: “16h00-18h00 repos”