Signes

Dans le théâtre baroque, et typ­ique­ment dans une pièce telle que La vie est un songe de Calderón de la Bar­ca, les préoc­cu­pa­tions majeures sont théologiques et méta­physiques, avec un traite­ment priv­ilégié du cou­ple être-apparence sous l’an­gle du ques­tion­nement ontologique: “suis-je quelque chose ou ne suis-je rien? suis-je vivant ou suis-je mort?” Lorsque ce ques­tion­nement autour du statut  se déplace sur le ter­rain de la société, il s’adresse à la for­tune (l’ar­gent, pas le des­tin) et au pou­voir: les signes que j’af­fecte sont-ils réels ou trompeurs? La dimen­sion psy­chique du prob­lème n’est pas abor­dée. Elle mérit­erait de l’être aujour­d’hui, dans une société où la plu­part des indi­vidus croient être le per­son­nage qu’ils jouent. Con­sciem­ment ou non, nous tra­vail­lons en effet notre per­son­nage sur le plan de l’ap­parence, finis­sant, à force d’y inve­stir nos éner­gies, par devenir ce que nous croyons être (ou pour le dire autrement, par cess­er d’être ce que nous sommes.) Vient à l’e­sprit l’habit, parangon de cette per­ver­sion: au XVI­Ième déjà son règne est com­plet, une grande par­tie des sub­terfuges nar­rés par Balt­haz­ar Gracián dans El Criti­con (une his­toire des faux-sem­blants) dépen­dant par exem­ple de l’habit comme moyen suff­isant de tromperie. Aujour­d’hui cela va plus loin: l’in­di­vidu tri­om­phe de la con­science de sa médi­ocrité en alig­nant ses pen­sées et ses gestes sur un per­son­nage fan­tas­mé. Et ce per­son­nage, comme dans une pièce de théâtre qui dur­erait toute une vie, il met toute son énergie à l’in­car­n­er de son mieux. Sur­git alors une prob­lème évi­dent. La ren­con­tre — intel­lectuelle, ami­cale, amoureuse — étant trib­u­taire des signes, c’est-à-dire de l’ap­parence, et celle-ci ne ren­voy­ant qu’à elle-même, l’ac­cès à l’être est coupé. Nous vivons ain­si sur un plan sec­ondaire, dans le même état que ces anor­maux que la norme stig­ma­tise: drogués, alcooliques, fous.