Vie matérielle

A l’in­stant Gala me rap­pelait une de nos pre­mières soirées au squat IPI 2000 à Genève il y a qua­torze ans et, dis­ait-elle, “tu t’é­ton­nais que je sache brass­er une salade!” Bien enten­du, je n’ai pas sou­venir de la salade, la remar­que agis­sant plutôt comme révéla­teur de l’é­tat amoureux, mais en revanche la mémoire est pré­cise en ce qui con­cerne les invités, le pein­tre Claude San­doz et Frère, le lieu et son entourage, la cui­sine brin­que­bal­ante, repeinte et graf­fitée, les poules dans le jardin, les arbres jamais tail­lés qui pous­saient leur bran­chages con­tre les fenêtres ver­moulues, l’abri à vélo et les seaux de colle fraîche ser­vant à la pose des affich­es de nuit et enfin les voisins dont la musique hurlait dans les étages. Ceux qui pré­ten­dent que nous ne changeons pas, par­mi lesquels fig­urent quelques ama­teurs de mau­vaise foi, ne me comptent pas dans leurs rangs: je ne doute pas d’avoir beau­coup changé, mais c’est surtout la sit­u­a­tion matérielle qui a com­plète­ment changé ce que prou­ve assez ce sou­venir, l’essen­tiel étant que nul ne peut espér­er demeur­er le même lorsqu’à qua­torze ans d’é­cart il est con­fron­té à des sit­u­a­tions matérielles aus­si aus­si différentes.