Mois : juin 2014

Liberté

Si tu mets une main dans la four­mil­ière, les four­mis s’adaptent en inté­grant la main à la four­mil­ière. Nous faisons de même lorsque nous adap­tons notre lib­erté aux obsta­cles. Tout dépend du nom­bre de mains et d’obstacles.

Journal écrit la nuit

Cepen­dant, à Pog­gio­re­ale, racon­te Gus­tav Her­ling dans ce Jour­nal écrit la nuit qu’il tint à Naples, dans cette atmo­sphère de pique-nique de print­emps, il peut arriv­er qu’on aperçoive quelqu’un sor­tant des os d’un tombeau entrou­vert, pour les asti­quer et les baiser.

Rata

Depuis quelque temps j’ai l’im­pres­sion que ce tout ce que je mange est empoi­son­né. Il n’y a plus plaisir de la nour­ri­t­ure, mais con­for­mé­ment aux visées de l’in­dus­trie ali­men­taire, rétab­lisse­ment mécanique des forces. Je m’en plains auprès de Gala, réclame des fruits et des légumes, dénonce la médi­ocrité de la viande. Elle tombe d’ac­cord, baisse les bras. Je me pré­cip­ite dans mon bureau, tire des bil­lets du porte­feuille, dou­ble le bud­get, l’en­joins à ne plus rien acheter dans la grande dis­tri­b­u­tion. Nous cher­chons alors une boucherie, un maraîch­er… Mais y en a‑t-il seule­ment? Pire, le soir lorsque j’ac­com­pa­gne mes nou­veaux amis — qu’il soit pré­cisés, jeunes voire très jeunes — ils se restau­rent de choses qui me parais­sent plus détesta­bles les unes que les autres, à com­mencer par ces affreux pains de mou­ton con­gelé que les Turcs impor­tent d’Alle­magne et qui tour­nent jour et nuit sur broche suin­tant la graisse. Et, peut-être inconsciemment,comme je déje­u­nais tout-à-l’heure au restau­rant avec Frère, nous com­man­dons un plat de bœuf. Alors même que je me voulais atten­tif, il n’y eut pas une saveur pour flat­ter le palais. 

Mondial

- Les matchs sont truqués.
- Vous croyez? Enfin, l’essen­tiel est que notre équipe gagne!

Progrès

Avant le pas­sage dans les cab­ines de la bio­métrie, ce Suisse-alle­mand retraité qui com­mente en patois pour sa mère âgée de nonante ans, peut-être cent, l’or­dre des actions.
- Tu vas faire une pho­togra­phie, puis tu vas mon­tr­er tes doigts et ensuite tu sign­eras. Oui maman, c’est comme ça maintenant…

Photos

- Les pho­tos, où sont nos pho­tos, se plaint une fois de plus Gala, qua­torze ans de vie com­mune et c’est comme si nous n’ex­is­tions pas!
Elle se retourne et, manque de chance, par­mi les livres que j’ai répar­ti en vrac sur les étagères de la bib­lio­thèque de salon la nuit du démé­nage­ment, remar­que des albums.
- Retire-les tout de suite! Quelqu’un pour­rait les voir! C’est une affaire privée!

Toldo

Tol­do m’ap­pelle de Xala­pa.
- Je défriche la forêt pour agrandir les fer­mes.
Ce qui n’est pas clair. A‑t-il enfin pu acheter l’îlot de bananiers qui fait face au Pico de Oriz­a­ba, le plus haut vol­can du pays? Il était ques­tion de se répar­tir les mètres pour y faire des cabanes. Autre chose: est-il tou­jours lié à la sor­cière? Qu’elle ait des dons de voy­ance, qu’elle com­mu­nique avec les esprits et peur-être les extra-ter­restres, je veux bien, mais c’est surtout quelqu’un dont l’én­ergie néga­tive inquiète au moment de fonder une com­mu­nauté. Or ces cam­pagnes, c’est son ter­rain de prédilec­tion: elle con­naît les paysans et dirige une des écoles proche des terrains.

Vierge

Depuis mon départ du vil­lage Gim­brède je trans­porte une vierge de plâtre, seul objet que le l’an­cien pro­prié­taire de cette mai­son, un vendeur d’ail con­nu pour son avarice m’ait lais­sé. A Lhôpi­tal, elle trô­nait dans l’ate­lier. Avant-hier, je la tire d’un car­ton. Y regar­dant de plus près j’aperçois entre les mains jointes de la stat­uette une forme grise de la taille d’un clou. Ce matin, je sai­sis la stat­uette. Entre les mains de la vierge cette même chose grise qui s’en­v­ole lorsque je la touche. C’est un papillon.

Ecole-usine

Reçus par les directeurs de l’é­cole de Jolimont où nous envis­ageons d’in­scrire Aplo pour l’an­née à venir. Après l’inévitable exposé sur l’or­gan­i­sa­tion des fil­ières servie par l’habituel jar­don des péd­a­gogues, Olo­foso for­mule la demande sur laque­lle nous sommes tombés d’ac­cord: un redou­ble­ment de classe en vue d’une entrée ultérieure au gym­nase.
- Voyez-vous, c’est impos­si­ble, il est déjà trop tard.
- Je ne com­prends pas.
- Il y a toutes sortes de pos­si­bil­ités pour Aplo, quel est son pro­jet?
- Pour­suiv­re ses études.
- Eh bien, ce n’est pas un prob­lème, il peut entre dans une école de cul­ture générale…
- …qui ne vaut rien. Franche­ment, c’est non!
- Pas du tout, vous vous méprenez. Après trois ans d’é­tudes, à con­di­tion d’obtenir la moyenne, il pour­ra devenir ambu­lanci­er, socio-édu­ca­teur.. et même radi­esthé­siste.
- Messieurs, je vous coupe: si on ne reve­nait à notre demande. Je vais être clair: il est exclu que cet enn­fant aille tra­vailler. Il n’a pas quinze ans. D’ailleurs, est-ce seule­ment légal?
- Mais par­faite­ment, il fera ses quinze ans cet été n’est-ce pas? Il suf­fit qu’il trou­ve un con­trat…
- Voyez-vous, à son âge j’é­tu­di­ais à Lau­sanne et les pro­fesseurs ont expliqué la même chose à mon père. Votre fils, lui ont-ils dit, est fait pour l’hor­ti­cul­ture. Je ne m’en veux pas d’avoir choisi une autre voie? Et puis, vous le voyez bien tra­vailler, mais ce n’est pas ce que vous avez fait n’est-ce pas?
- Non, non, mais…
- Donc, pour les études…
- Sa moyenne est trop haute pour que nous l’au­tori­sions à redou­bler… et trop basse pour qu’il puisse entre­pren­dre des études.
- D’autre raison­nement aber­rants?
- Nous com­prenons votre frus­tra­tion, mais vous savez, le tra­vail, c’est très bien.
- J’ai cinquante ans, mes amis qui ont com­mencé de tra­vailler à l’âge de quinze ans sont tou­jours à leur poste à l’heure où je vous par­le et cer­tains dans la même usine, alors s’il-vous-plaît!
- Vous com­prenez ici, nous avons plutôt un tis­su de PME… Ou alors, il y a évide­ment l’op­tion de l’é­cole privée.
- Je paie des impôts.
- Vous pou­vez tou­jours faire appel à l’in­specteur des écoles. Mais croyez-moi, le mieux serait qu’il reste à Genève…

Sensation

Sen­sa­tion rare avec cette fille à qui je par­le quelques min­utes dans un cadre pro­fes­sion­nel: nous pro­duisons de part et d’autre des mots pour faire dur­er la ren­con­tre coûte que coûte.