Si tu mets une main dans la fourmilière, les fourmis s’adaptent en intégrant la main à la fourmilière. Nous faisons de même lorsque nous adaptons notre liberté aux obstacles. Tout dépend du nombre de mains et d’obstacles.
Mois : juin 2014
Rata
Depuis quelque temps j’ai l’impression que ce tout ce que je mange est empoisonné. Il n’y a plus plaisir de la nourriture, mais conformément aux visées de l’industrie alimentaire, rétablissement mécanique des forces. Je m’en plains auprès de Gala, réclame des fruits et des légumes, dénonce la médiocrité de la viande. Elle tombe d’accord, baisse les bras. Je me précipite dans mon bureau, tire des billets du portefeuille, double le budget, l’enjoins à ne plus rien acheter dans la grande distribution. Nous cherchons alors une boucherie, un maraîcher… Mais y en a‑t-il seulement? Pire, le soir lorsque j’accompagne mes nouveaux amis — qu’il soit précisés, jeunes voire très jeunes — ils se restaurent de choses qui me paraissent plus détestables les unes que les autres, à commencer par ces affreux pains de mouton congelé que les Turcs importent d’Allemagne et qui tournent jour et nuit sur broche suintant la graisse. Et, peut-être inconsciemment,comme je déjeunais tout-à-l’heure au restaurant avec Frère, nous commandons un plat de bœuf. Alors même que je me voulais attentif, il n’y eut pas une saveur pour flatter le palais.
Progrès
Avant le passage dans les cabines de la biométrie, ce Suisse-allemand retraité qui commente en patois pour sa mère âgée de nonante ans, peut-être cent, l’ordre des actions.
- Tu vas faire une photographie, puis tu vas montrer tes doigts et ensuite tu signeras. Oui maman, c’est comme ça maintenant…
Photos
- Les photos, où sont nos photos, se plaint une fois de plus Gala, quatorze ans de vie commune et c’est comme si nous n’existions pas!
Elle se retourne et, manque de chance, parmi les livres que j’ai réparti en vrac sur les étagères de la bibliothèque de salon la nuit du déménagement, remarque des albums.
- Retire-les tout de suite! Quelqu’un pourrait les voir! C’est une affaire privée!
Toldo
Toldo m’appelle de Xalapa.
- Je défriche la forêt pour agrandir les fermes.
Ce qui n’est pas clair. A‑t-il enfin pu acheter l’îlot de bananiers qui fait face au Pico de Orizaba, le plus haut volcan du pays? Il était question de se répartir les mètres pour y faire des cabanes. Autre chose: est-il toujours lié à la sorcière? Qu’elle ait des dons de voyance, qu’elle communique avec les esprits et peur-être les extra-terrestres, je veux bien, mais c’est surtout quelqu’un dont l’énergie négative inquiète au moment de fonder une communauté. Or ces campagnes, c’est son terrain de prédilection: elle connaît les paysans et dirige une des écoles proche des terrains.
Vierge
Depuis mon départ du village Gimbrède je transporte une vierge de plâtre, seul objet que le l’ancien propriétaire de cette maison, un vendeur d’ail connu pour son avarice m’ait laissé. A Lhôpital, elle trônait dans l’atelier. Avant-hier, je la tire d’un carton. Y regardant de plus près j’aperçois entre les mains jointes de la statuette une forme grise de la taille d’un clou. Ce matin, je saisis la statuette. Entre les mains de la vierge cette même chose grise qui s’envole lorsque je la touche. C’est un papillon.
Ecole-usine
Reçus par les directeurs de l’école de Jolimont où nous envisageons d’inscrire Aplo pour l’année à venir. Après l’inévitable exposé sur l’organisation des filières servie par l’habituel jardon des pédagogues, Olofoso formule la demande sur laquelle nous sommes tombés d’accord: un redoublement de classe en vue d’une entrée ultérieure au gymnase.
- Voyez-vous, c’est impossible, il est déjà trop tard.
- Je ne comprends pas.
- Il y a toutes sortes de possibilités pour Aplo, quel est son projet?
- Poursuivre ses études.
- Eh bien, ce n’est pas un problème, il peut entre dans une école de culture générale…
- …qui ne vaut rien. Franchement, c’est non!
- Pas du tout, vous vous méprenez. Après trois ans d’études, à condition d’obtenir la moyenne, il pourra devenir ambulancier, socio-éducateur.. et même radiesthésiste.
- Messieurs, je vous coupe: si on ne revenait à notre demande. Je vais être clair: il est exclu que cet ennfant aille travailler. Il n’a pas quinze ans. D’ailleurs, est-ce seulement légal?
- Mais parfaitement, il fera ses quinze ans cet été n’est-ce pas? Il suffit qu’il trouve un contrat…
- Voyez-vous, à son âge j’étudiais à Lausanne et les professeurs ont expliqué la même chose à mon père. Votre fils, lui ont-ils dit, est fait pour l’horticulture. Je ne m’en veux pas d’avoir choisi une autre voie? Et puis, vous le voyez bien travailler, mais ce n’est pas ce que vous avez fait n’est-ce pas?
- Non, non, mais…
- Donc, pour les études…
- Sa moyenne est trop haute pour que nous l’autorisions à redoubler… et trop basse pour qu’il puisse entreprendre des études.
- D’autre raisonnement aberrants?
- Nous comprenons votre frustration, mais vous savez, le travail, c’est très bien.
- J’ai cinquante ans, mes amis qui ont commencé de travailler à l’âge de quinze ans sont toujours à leur poste à l’heure où je vous parle et certains dans la même usine, alors s’il-vous-plaît!
- Vous comprenez ici, nous avons plutôt un tissu de PME… Ou alors, il y a évidement l’option de l’école privée.
- Je paie des impôts.
- Vous pouvez toujours faire appel à l’inspecteur des écoles. Mais croyez-moi, le mieux serait qu’il reste à Genève…