Depuis quelque temps j’ai l’impression que ce tout ce que je mange est empoisonné. Il n’y a plus plaisir de la nourriture, mais conformément aux visées de l’industrie alimentaire, rétablissement mécanique des forces. Je m’en plains auprès de Gala, réclame des fruits et des légumes, dénonce la médiocrité de la viande. Elle tombe d’accord, baisse les bras. Je me précipite dans mon bureau, tire des billets du portefeuille, double le budget, l’enjoins à ne plus rien acheter dans la grande distribution. Nous cherchons alors une boucherie, un maraîcher… Mais y en a‑t-il seulement? Pire, le soir lorsque j’accompagne mes nouveaux amis — qu’il soit précisés, jeunes voire très jeunes — ils se restaurent de choses qui me paraissent plus détestables les unes que les autres, à commencer par ces affreux pains de mouton congelé que les Turcs importent d’Allemagne et qui tournent jour et nuit sur broche suintant la graisse. Et, peut-être inconsciemment,comme je déjeunais tout-à-l’heure au restaurant avec Frère, nous commandons un plat de bœuf. Alors même que je me voulais attentif, il n’y eut pas une saveur pour flatter le palais.