Ces gens dont on est sans nouvelles, des amis. Aujourd’hui Toldo. Depuis 1986 j’ai échangé plus de deux cent lettres avec lui. Il est venu en Suisse, je suis allé au Mexique, nous avons voyager en France en famille, à Paris, à Saint-Etienne puis dans le Sud-ouest. Ce n’est pas tant la poursuite de l’amitié quant à a ses promesses qu’un pan complet de la mémoire partagée qui s’effondre. Propre à dramatiser; le mieux est de croire qu’il s’agit d’un retard ou d’une accroche, mais tout de même: deux courriers sans réponse.
Mois : mai 2014
Progrès
Des voitures que l’on ne peut pas pas garer, pas conduire, pas pousser à bonne vitesse; des cigarettes que l’on ne peut pas fumer; des alcools interdits à la consommation; des maisons que l’on achète mais que l’on ne possède pas; des opinions que l’on ne peut pas proférer, des mots interdits; des choses que l’on ne peut porter sur soi; des outils que l’on ne peut utiliser certains jours, des fêtes que l’on ne peut célébrer que le week-end; des rues que l’on ne peut emprunter que dans un sens; des campagnes réservées; des enfants à qui l’on ne peut donner la fessée…
Mémoire de Paris
Le matin, encore au lit, M. annotait les équations qui lui étaient venues pendant la nuit. J’étais à son côté, couché à même le sol, fatigué de mes promenades dans Paris. L’appartement d’une pièce donnait sur la rue de la Butte aux Cailles. Un lavabo monté bas dans une armoire servait de receveur de douche. Les yeux au plafond, M. réfléchissait à haute voix.
- Vois-tu, je me suis demandé ce que je voudrais faire. Acheter une maison? Bah! D’ailleurs, je n’ai pas de famille à y mettre. Voyager? Non. Je n’ai plus le goût des longs déplacements. Il y a mon amie, je l’aime, ou je crois que je l’aime, et cette thèse sur Hegel, mais bon… Non, vraiment, je ne vois pas.
Le surlendemain, il mourrait dans une avalanche.
Vaisselle
A Torrevieja, je demande à Aplo de desservir la table du repas et de placer les couverts dans la machine à laver la vaisselle. Quand je constate qu’il a placé couteaux et fourchettes la tête en haut dans les casiers sans les avoir rincer, je l’appelle, les fait ressortir et j’explique la façon de les disposer. Le lendemain, comme je m’affaire dans la cuisine, j’entends Aplo sur la même ton qui fut le mien expliquer à son cousin, plus petit, que les têtes vont en bas, qu’il faut rincer et distribuer les couverts dans les casiers.
Beauté 2
La production de laideur, justifiée par les nécessités de tout ordre, au premier rang économiques et sociales. Engloutissement du naturel. Perversion des comportements. Hommes-machines. Agressivité. Et à la moindre contestation, les tenants des nécessités s’insurgent: il n’y a pas moyen de faire autrement! Certains sont d’ailleurs de bonne foi, preuve qu’ils ont déjà du côté du diabolique. Rien de religieux dans ce que j’avance: la cupidité érigée en loi ou l’ambition portée à une certaine incandescence suffisent à vous transformer en un thuriféraire du laid. D’ailleurs, s’agissant de religion et donc d’amour, “il s’est sacrifié pour racheter le monde”, “il sauvera celui qui se donnera à lui”, je veux bien, je n’en ai pas l’expérience, mais si le croyant rétablit la lumière pour lui et pour son entourage, il est impuissant lorsqu’il s’agit d’empêcher la destruction de la beauté. La beauté: leçon simple, immédiate, qui rabat l’homme sur un centre.
Beauté
Le monde est beau. Manipulé au nom d’impératifs dont les tenants et aboutissants échappent il devient laid. Phénomène qui n’est pas neuf mais subit depuis une vingtaine d’années une formidable accélération. Or la laideur n’est pas un simple empêchement de participer à la beauté du monde, c’est une confiscation des ressources de l’être. Dans le laid, l’homme n’a plus accès à soi.