Couché sur le dos, réfléchissant plusieurs minutes avant de me retourner dans le lit.
Mois : avril 2014
Chute
A trois heures ce matin, tombé sur la tête. Je me remets en selle en jurant mais constate vite que je suis inondé de sang. Le vélo cadenassé, je me regarde dans le miroir de la salle de bains. L’arcade est ouverte, l’oreille en bouillie, un morceau de joue pend et je ne vois plus. Quelques minutes plus tard, je me présente aux Urgences. Entre deux, l’instinct a commandé. Un torchon pressé sur la plaie, j’ai affiché à l’écran le plan d’accès de l’hôpital, sorti la voiture du garage et réussi malgré mon état d’ivresse avancé à la placer entre deux voitures de police sans éveiller les soupçons. La responsable de l’accueil enregistre mes noms et prénom, imprime un bracelet, me le passe autour du bras — je saigne. Deux docteurs discutent de l’intervention. Elle durera une heure et demie. Désinfection, anesthésie, couture. Un Algérien me glisse dans un scanner, une infirmière m’enveloppe dans une couverture chaude. Quelqu’un peut-il venir vous chercher? Non. Les docteurs conseillent d’attendre jusqu’à l’aube; si je plante la voiture, ils sont responsables. Que j’aie manqué la rampe de la Miséricorde et foncé dans l’escalier, que j’ai volé par dessus le guidon pour atterrir sur le visage, ne me surprend pas. Qu’un tel accident arrivât tout autre jour m’aurait surpris, pas ce soir. Après l’entraînement de boxe, au moment de rejoindre Etan, je savais que la soirée serait marquée. De retour de Malaga en début de semaine, je prends le téléphone, parle aux enfants. Ils hésitent à venir passer le week-end. Je demande qu’ils me disent leur décision avant jeudi, répète ma demande à Olofso. Arrive vendredi, pas de nouvelles. Avant de descendre boxer au sous-sol, je fais un message à Gala, lui rappelle que l’avion pour Alicante est mardi. En bas, entraînement intensif et combat dans le ring. Tout va bien jusqu’au moment où je suis affronté à un Russe. Quelques secondes lui suffisent. Il place des coups. Retour au vestiaire, Gala écrit: je ne viens pas, bonnes vacances. Vexé, calme, furieux, je résous de me séparer d’elle. C’est alors, au moment de quitter l’appartement, oubliant de mettre à sécher mes affaires de sport (ce que je n’oublie jamais) que je me représente la soirée. Sentiment de quelque chose de négatif. Comme si fixant un rideau, je pouvais deviner ce qu’il cache. Nous buvons en vieille-ville. Etan parle de mon “volontarisme”, de mon “application”, de leur poids, d’une écriture plus organique, autrement libérée, j’acquiesce, il y aurait long à dire, je rappelle tout de même que je tiens à la philosophie. Puis il propose d’aller boire rue Bellefontaine chez les prostituées nègres. Une expérience monstrueuse. Qui ne m’amuse pas. Qui me désole. Une image déformée de notre société. De ce qu’elle tolère, de l’avenir qui se prépare. Au lieu de quoi, nous descendons dans une cave à musique. Sorte d’agence matrimoniale pour quarantenaire. Triste, amusant, ridicule, terriblement réel. Où je trouve bien ma place en cet instant. Et pour m’en convaincre, je m’emploie à discuter avec deux filles que je ne trouve ni jolies ni intéressantes ni même sympathiques. Un orchestre joue des reprises. Nous buvons encore. Etan photographie. Puis il s’en va. Je reste. Plus tard je secours rue St-Michel une gamine qui a perdu la raison. Drame habituel des nuits adolescentes. Elle est malade, elle a perdu sea amis, elle n’a plus d’argent, elle ne trouve pas de taxi. Quand celui-ci l’emporte, j’enfourche mon vélo, pédale à toute vitesse dans la nuit, manque la rampe, vole sur l’escalier.
Tatlin
Tatlin, grande, belle, jeune.
- Tu as des couteaux chez toi?
- Mmh.
- Des grands? Oh, j’aimerais les voir. Tu as aussi des armes?
Puis elle propose de faire un barbecue dès que le printemps sera là.
- Avec mes frères nous faisions des barbecues en hiver, sur la montagne. Nous marchions des heures dans la haute neige, et pendant que le charbon brûlait nous avions froid, mais nous ne redescendions pas avant la nuit. Se perdre dans la montagne et dans le noir était une expérience fantastique!
Chinois
Documentaire sur les Chinois en Afrique. Chantiers de voirie, asséchement et culture, cimenteries. L’exemple zambien. Les Chinois, roboratifs, butés, coupés de toute fantaisie. Les noirs, infantiles, invertébrés. Entre les deux: la religion de l’argent telle que formulée par le pouvoir blanc au dix-neuvième.
Danse
Au restaurant du Tintero à Malaga je mange en face d’une danseuse de flamenco, aujourd’hui chercheuse. Elle rédige un thèse sur l’iconographie de la danse dans la peinture espagnole. Conversation typique avec un doctorant: il est seul à parler. Mais ce qui me frappe — et déjà me frappait — c’est l’idée admise que la direction donnée au sujet permet de suivre une trajectoire rectiligne, faite d’étapes référées à des domaines de savoir précis, enseignés et circonscrits par les études des maîtres de thèse. En somme, le contraire de l’écriture d’un livre.
Avion
Pour le première fois en trente ans, changement de la symbolique de mes rêves d’avion. Jusqu’ici, ils tombaient. Hier, l’appareil a piqué puis s’est redressé, décrivant dans le ciel un looping. Puis d’un coup, tout s’est effacé: mon corps, ma conscience, l’avion, laissant entrevoir une nuit sans limite qui serait “le neutre”. Enfin, cette perception à son tour s’est effacée. Au sentiment catastrophique de l’accident succède ainsi le sentiment d’une continuité entre la vie et la mort.
Rabâcher
Les redites, phénomène connu, signe de vieillesse, que j’observe chez moi, ce qui me permet de me racheter: bientôt, cela deviendra inconscient. Quoiqu’il en soit, on peut se demander si ces expériences de jeunesse rabâchées par certains au grand âge et qui signent leur vies sont autres choses que les traumatismes qui font les thèmes uniques ou obsessions des artistes. Elles seraient simplement plus enfouies chez ces derniers en raison d’une sensibilité accrue.
Troisième dimension
La foi et l’art ouvrent le monde et ouvrent au monde en modifiant les liaisons des éléments qui composent le réel. Qu’elle projette ce réel dans un surnaturel ou dans un possible, la création est force de vie qui s’ajoute à la force de vivre — véritable troisième dimension faute de laquelle le monde est au mieux divertissement, au pire lutte.