A trois heures ce matin, tombé sur la tête. Je me remets en selle en jurant mais constate vite que je suis inondé de sang. Le vélo cadenassé, je me regarde dans le miroir de la salle de bains. L’arcade est ouverte, l’oreille en bouillie, un morceau de joue pend et je ne vois plus. Quelques minutes plus tard, je me présente aux Urgences. Entre deux, l’instinct a commandé. Un torchon pressé sur la plaie, j’ai affiché à l’écran le plan d’accès de l’hôpital, sorti la voiture du garage et réussi malgré mon état d’ivresse avancé à la placer entre deux voitures de police sans éveiller les soupçons. La responsable de l’accueil enregistre mes noms et prénom, imprime un bracelet, me le passe autour du bras — je saigne. Deux docteurs discutent de l’intervention. Elle durera une heure et demie. Désinfection, anesthésie, couture. Un Algérien me glisse dans un scanner, une infirmière m’enveloppe dans une couverture chaude. Quelqu’un peut-il venir vous chercher? Non. Les docteurs conseillent d’attendre jusqu’à l’aube; si je plante la voiture, ils sont responsables. Que j’aie manqué la rampe de la Miséricorde et foncé dans l’escalier, que j’ai volé par dessus le guidon pour atterrir sur le visage, ne me surprend pas. Qu’un tel accident arrivât tout autre jour m’aurait surpris, pas ce soir. Après l’entraînement de boxe, au moment de rejoindre Etan, je savais que la soirée serait marquée. De retour de Malaga en début de semaine, je prends le téléphone, parle aux enfants. Ils hésitent à venir passer le week-end. Je demande qu’ils me disent leur décision avant jeudi, répète ma demande à Olofso. Arrive vendredi, pas de nouvelles. Avant de descendre boxer au sous-sol, je fais un message à Gala, lui rappelle que l’avion pour Alicante est mardi. En bas, entraînement intensif et combat dans le ring. Tout va bien jusqu’au moment où je suis affronté à un Russe. Quelques secondes lui suffisent. Il place des coups. Retour au vestiaire, Gala écrit: je ne viens pas, bonnes vacances. Vexé, calme, furieux, je résous de me séparer d’elle. C’est alors, au moment de quitter l’appartement, oubliant de mettre à sécher mes affaires de sport (ce que je n’oublie jamais) que je me représente la soirée. Sentiment de quelque chose de négatif. Comme si fixant un rideau, je pouvais deviner ce qu’il cache. Nous buvons en vieille-ville. Etan parle de mon “volontarisme”, de mon “application”, de leur poids, d’une écriture plus organique, autrement libérée, j’acquiesce, il y aurait long à dire, je rappelle tout de même que je tiens à la philosophie. Puis il propose d’aller boire rue Bellefontaine chez les prostituées nègres. Une expérience monstrueuse. Qui ne m’amuse pas. Qui me désole. Une image déformée de notre société. De ce qu’elle tolère, de l’avenir qui se prépare. Au lieu de quoi, nous descendons dans une cave à musique. Sorte d’agence matrimoniale pour quarantenaire. Triste, amusant, ridicule, terriblement réel. Où je trouve bien ma place en cet instant. Et pour m’en convaincre, je m’emploie à discuter avec deux filles que je ne trouve ni jolies ni intéressantes ni même sympathiques. Un orchestre joue des reprises. Nous buvons encore. Etan photographie. Puis il s’en va. Je reste. Plus tard je secours rue St-Michel une gamine qui a perdu la raison. Drame habituel des nuits adolescentes. Elle est malade, elle a perdu sea amis, elle n’a plus d’argent, elle ne trouve pas de taxi. Quand celui-ci l’emporte, j’enfourche mon vélo, pédale à toute vitesse dans la nuit, manque la rampe, vole sur l’escalier.