L’embarcadère de Ranong pour les îles de Phayam et Chang donne sur un bras de la mer d’Andaman. Les ouvriers entassent fruits, poulets, bière et blocs de glace dans le fond du bateau, nous prenons alors place sur les marchandises, le dos voûté, le visage au ras des mangroves. Un Allemand allume une cigarette. L’indigène lui signale qu’il est assis sur des bidons d’essence. Le long des berges, des entrepôts et des docks délabrés, des navires fantômes basculés sur la flanc, des habitations brisées et plus noires que des chicots. Sorti de ce boyau, la mer est verte et agitée et nous naviguons entre des isthmes de jungle. Gala discute avec un chinoise en français et s’occupe d’un bébé de cinq mois qui joue entre deux sacs de patates. A mi-distance, nous croisons le bateau qui revient des îles. Il est à la dérive, son moteur en panne. Le pilote balance une corde et nous le tirons, mais lorsque Chang est en vue, je m’aperçois que le bateau a disparu. Nous approchons une première plage. Les habitants nous attendent de l’eau jusqu’à la taille. Ils déchargent la marchandise commandée. Des Birmans, des Thaïs, et des Anglais, des Allemands, des Français, blonds, maigres, nus, accompagnés de petits enfants. Indifférente, flottant sur un matelas pneumatique, une touriste bien en chair dort. Aussitôt installé dans le bungalow, rudimentaire, sans électricité, muni d’un réservoir, je me demande ce que nous faisons là. Surprise habituelle. De la première heure. S’il est besoin de se rassurer, on se dit alors que le séjour dans l’île est justifié par les quatre jours de voyage qui nous y ont conduit: bus, train, taxis collectifs, taxis encore et bateau, avec trois nuits d’étape dans des villes secondaires, toutes agréables, toutes pareilles, au point qu’à Chumphon, buvant de la bière sur la terrasse en bois d’une guesthouse, j’ai fait remarqué à Gala un puissant bâtiment jaune canari: l’hôtel où nous avons dormi il y a quelques années, au cours d’un voyage dont nous étions maintenant incapables de dire la destination. Puis on ne pense plus. Ou du moins plus au continent, plus à l’Europe ni à l’heure qu’il peut être. Signe que les vacances dans l’île ont commencé.