Dans Apaisement, Charles Juliet évoque une rencontre avec Georges Haldas. Le Genevois exprime son scepticisme envers la notion d’intériorité. S’observer est impossible, dit-il au Français. Et il use de cette aporie: je ne peux pas me voir passer dans la rue. Juliet lui fait remarquer que la réalité psychique ne souffre pas la comparaison avec le monde physique. Cela me semble évident. Je ne serais pas surpris qu’Haldas fasse ici preuve de mauvaise foi. De fait, dans le long travail d’exploration de soi qui fournit la matière de L’Etat de Poésie, Haldas ne fait que scruter son être. Au-delà de cette querelle qui n’est pas exempte d’orgueil, débattre entre diaristes de l’intériorité sur un plan philosophique comme le voudrait Juliet, est insensé. Cette intériorité dont l’auteur français raconte à longueur de pages la découverte, et qui lui apparaît comme un réalité substantielle promise à un dévoilement par le travail d’ascèse, me semble fantasmatique. Le refus d’Haldas d’entrer en matière n’en demeure pas moins étrange. En effet, chez les deux écrivains et chez bien d’autres (citons Jouhandeau) les termes qui surgissent sous la plume afin d’attester de la connaissance de soi sont souvent identiques: ascèse, inspiration, musique, aventure. Il est vrai que les deux auteurs développent une vision chrétienne du monde. Chez Juliet, cet engagement s’exprime par une vocation à la charité et à l’humilité; chez Haldas, par une adoration ambiguë de la figure du Christ: ambiguë, car autant pour avoir lu les derniers essais de l’auteur que pour avoir échangé avec lui, j’ai la conviction qu’il se retenait de confesser une foi pleine pour n’avoir pas à abandonner cette position d’esthète qui le ravissait. Pour moi, j’estime que l’intériorité est produite. L’acte continué — comme dirait Malebranche — d’écrire crée un sentiment de dévoilement de l’être, mais celui-ci ne préexiste pas au dévoilement ni ne lui survit. Il est identique au moment. La notion d’Etat de poésie chez Haldas exprime ce travail de forge. La création continuée de cet état enjoint à l’auteur de se tenir non pas à distance de lui-même, mais à distance du monde. Cela s’obtient par une pratique obsessionnelle de scribe (mot récurrent chez Haldas). Chez Juliet, j’aime cette idée que “Les ermites revenaient auprès des hommes pour leur donner ce qu’ils avaient vécu et compris dans la solitude”. Mais l’aventure spirituelle ne consiste aucunement à se porter au-devant de cette intériorité comme on se porterait au devant d’une chose cachée. Cette chose à laquelle pense Juliet, à l’existence indépendante, placée en attente de dévoilement, est l’illusion que crée un personne de peu d’assurance pour éviter d’avoir à admettre notre solitude originelle. Pareillement, je crois qu’en critiquant Juliet, Haldas ne fait que déplacer cette chose en l’inscrivant su un plan métaphysique, et en l’incarnant dans la figure symbolique du Christ (notamment dans Le Christ à ciel ouvert). Que nous soyons capables de parvenir à un état de ravissement par l’ascèse spirituelle, je n’en doute pas, mais celui-ci ne permet d’établir qu’une certitude: provisoirement extraits des contingences du monde nous accédons à une vie meilleure. Et s’il faut rester du côté de l’interprétation chrétienne, je préfère encore l’anarchisme mystique du Louis Calaferte des Carnets: sa quête intérieure vise à la simplicité morale pour ce qui est du quotidien et au génie de la fulgurance dans le domaine de l’art.