L’escalier de bois mène au second.

L’escalier de bois mène au sec­ond. A par­tir du six­ième, les march­es sont ver­moulues. Je sais gré au concierge de m’avoir aver­ti et ne regrette pas de m’être aven­turé. Mes motifs sont intactes: je compte gag­n­er le toit de l’im­meu­ble pour avoir une vue générale et seule l’escalier per­met d’at­tein­dre la porte du treiz­ième. Que le concierge, et d’ailleurs la majorité des habi­tants de la ville, préfèrent la sécu­rité à la con­nais­sance, j’y con­sens, mais main­tenant que j’ai atteint l’âge de matu­rité, j’ai le droit, comme le stip­ule la loi, d’emprunter l’escalier et de me ren­dre sur le toit. Le concierge m’a don­né l’habit de deuil de son grand père. Dans sa famille, orig­i­naire des Pouilles, cet habit est trans­mis de père en fils car du fait d’une étrange mal­adie les femmes meurent les pre­mières. Vous me le ren­drez au retour. J’ai fait val­oir que je ne reviendrai peut-être pas. Le concierge a déclaré que dans ce cas il serait heureux de savoir que le cos­tume avait été porté par un sage. Puis il m’a demandé sir je croy­ais à la légende du 12ème étage. Non, lui ai-je dit, je n’y crois pas, sans quoi je ne m’aven­tur­erai pas. Moi non plus, a‑t-il dit, et cepen­dant je préfère la sécu­rité: sou­venez-vous, j’au­rai à enter­rer ma femme. Je repen­sais à tout cela, vêtu de noir, alors que je me tenais sur une marche d’escalier ver­moulue du 12ème. Chaque fois que je me retour­nais les march­es sur lesquelles je venais de pos­er le pied  trem­blaient comme de la géla­tine au-dessus du vide. Si je par­ve­nais jusqu’au toit et prof­i­tais de la vue, je n’au­rai de toute évi­dence pas le loisir de revenir dans l’im­meu­ble pour rap­porter aux autres ma vision. Mais à peine avais-je pen­sé cela que les march­es qui con­dui­saient à la porte don­nant sur le toit se mirent à flotter.