Mois : juin 2013

Les souf­frances matérielles par lesquelles se sol­dent les vies bru­tales ont une beauté dont le lus­tre est désespoir.

Jacques de Bour­bon Bus­set. “J.C. me pousse  à écrire un long roman. Ce que je ne puis lui dire, car il est lui-même courageuse­ment engagé dans une ample con­struc­tion romanesque, c’est que ces grandes machines lentes et céré­monieuses m’en­nuient. Je ne marche plus, je n’y crois plus. Dieu sait que je ne suis pas enclin à admir­er incon­di­tion­nelle­ment la nou­veauté, mais il faut un min­i­mum d’ac­cord avec la sen­si­bil­ité de l’époque. Vouloir ralen­tir délibéré­ment ce qui est rapi­de, ain­si que me le sug­gère J.C., c’est se vouer à l’ar­ti­fice. Ce qui m’in­téresse, c’est de faire adhér­er au max­i­mum le déroule­ment des mots et celui des jours. Telle est la loi de la com­po­si­tion, la struc­ture de ce que j’écris. L’or­dre existe, mais ce n’est pas moi qui le mets”.
Le régime de la vitesse boulever­sé qui ordonne nos actions et notre pen­sée hypothèque cette par­tie de la réflex­ion, mais la cri­tique demeure, et c’est aujour­d’hui à la pro­duc­tion d’une réal­ité arti­fi­cielle des­tinée à rem­plac­er un monde qu’on se refuse à affron­ter que tra­vaille le roman.

- Maman, c’est moi. Tu m’en­tends? Je suis au parc avec des amis. Est-ce que je peux encore rester jouer dehors un moment?
Dit le gamin un marteau plaqué con­tre l’oreille.

Inter­rompu, on dis­ait:
- Un instant je vous prie.
Désor­mais, on quan­ti­fie:
- Une minute!

Dans les quartiers où les hommes se bat­tent pour nour­rir leurs familles deux fab­riques, l’une de solu­tions, l’autre de prob­lèmes. Les admin­is­tra­teurs de la fab­rique des solu­tions appel­lent leurs col­lègues et passent com­mande de prob­lèmes. Livrés, ils véri­fient qu’ils ont les solu­tions et annon­cent aux hommes qui se bat­tent pour sur­vivre qu’ils n’ont pas de solu­tion. Puis la trou­ve et en font la pro­pa­gande  de sorte que les hommes leur accor­dent une puis­sance qu’ils ne méri­tent pas et une con­fi­ance dont ils sont indignes. L’homme des quartiers con­state que sa sit­u­a­tion ne change pas. Elle est cat­a­strophique. Mais si les solu­tions offertes aux prob­lèmes créées dans l’autre fab­rique n’ex­is­taient pas, ce serait pire. Et les hommes plient l’échine.

Calaferte, Car­nets V: Un cer­tain degré de con­nais­sance ne s’ob­tient que par la voie médiane.

Alors que nous sor­tons acheter le cadeau d’an­niver­saire de Luv, j’ai le mal­heur de vider la boîte à let­tres (je suis par­ti­san d’une inter­dic­tion générale des boîtes à let­tres, chaque émet­teur de mes­sage devant être amené, s’il veut que celui-ci atteigne son des­ti­nataire, à le délivr­er en per­son­ne afin que pèse de tout son poids sur le le con­tenu du mes­sage la respon­s­abil­ité d’un engage­ment personnel).

La presse mil­i­tante alerte sur la pro­priété. L’ar­gent est volé en toute légal­ité moyen­nant des droits votés à la hâte par les Etats. Ter­rains et et bâti­ments pour­raient suiv­re le même régime. En dépit du plaisir qu’il y a à men­er une vie dans une mai­son dont on est le pro­prié­taire, plaisir que j’ai eu l’heur de goûter pen­dant quelques années, je n’ai cessé de remar­quer que le rap­port de pos­ses­sion, sous les coups de but­toirs des corps inter­mé­di­aires, pro­fes­sion­nels agrées, notaires véreux et trafi­quants divers, se dis­tendait. Si l’alerte est aujour­d’hui don­née, c’est que cer­tains con­tes­tataires anx­ieux devi­nent que les Etats en voie de fail­lite sont dans l’oblig­a­tion de trou­ver des expé­di­ents. Et une fois de plus, les grands pro­prié­taires, ceux qui doivent leur for­tune à l’hérédité, c’est à dire au dépeçage con­tinu de la bête, échap­per­ont au régime com­mun. Mis à nu et aban­don­né sur un ter­ri­toire régi par la loi publique le pau­vre hère jouera son exis­tence au gré mou­vant des intérêts égoïstes.

A la lec­ture d’une note évo­quant le car­ac­tère féminin du sym­bol­isme de l’oeuf, il me revient que j’en­trete­nais entre l’âge de 12 et 15 ans une col­lec­tion d’oeufs et, ce qui ne manque de m’é­ton­ner à ce sou­venir, c’est qu’il ait dis­paru de la con­science sans laiss­er la moin­dre trace pour ressur­gir aujour­d’hui. Par­mi les oeufs que je pos­sé­dais, je revois un spéci­men fruste et brun, ouvrage de poti­er, dont je ne ces­sais de me deman­der, en rai­son des irrégu­lar­ités de fig­ure et des coulures som­bres qui enrobaient son ven­tre s’il avait sa place dans une col­lec­tion priv­ilé­giant les galbes liss­es. L’o­rig­ine de la col­lec­tion fut le don par un ambas­sadeur en vis­ite à la rési­dence d’Helsin­ki d’une exem­plaire de nacre jaune. Mon amour-pro­pre avait été touché par ce cadeau. Du reste, si le principe de la col­lec­tion ne m’a jamais intéressé, j’en ai pra­tiqué de dif­férentes sortes, bri­quets, porte-clefs, et bien enten­du tim­bres que j’a­chetais au marché phi­latélique du same­di sur la plaza may­or de Madrid (mais dans ce cas me guidait l’idée de décrou­vrir un exem­plaire rare représen­tant le buste de Fran­co et coté selon mes manuels à 1 mil­lion de pese­tas). La semaine dernière ma mère insis­tait d’ailleurs pour que je lui donne l’au­tori­sa­tion de jeter les six cent boîtes de bières récoltées à tra­vers le monde entre 1980 et 2000.

Jou­bert: “J’aime peu de tableaux, peu d’opéras, peu de stat­ues, peu de poèmes, et cepen­dant j’aime beau­coup les arts”.