Une ville où se perdre. Une langue incomprise. Des moeurs étrangers. J’y trouve une double satisfaction. Une forme de nostalgie active d’abord car ce faisceau circonstanciel me renvoie aux situations que j’ai vécu enfant lorsque mes parents, à intervalles réguliers, revendaient meubles et voitures, achetaient des manuels de culture et nous installaient dans un pays nouveau. Et puis mon désarroi est ici moindre qu’en Europe. Les changements que traversent nos sociétés sont traumatisants, ce d’autant plus qu’ils sont, à condition d’être quelque peu attentif, faciles à mesurer. La perte de l’amitié, l’effacement des routines de la convivialité, la robotisation, le renoncement au sourire, ces traits rendent notre monde méconnaissable. S’y ajoute un problème de rythme. Le rythme s’uniformise. Et l’aspect des citadins. Dans une ville de la taille de Bangkok vers laquelle continuent d’affluer chaque jour les provinciaux les règles du grand catalogue marchand ne peuvent s’appliquer avec autant de rigueur: le thaïlandais du peuple, encore majoritaire, ne collabore pas car il ne peut se permettre ce luxe, il travaille pour manger. Rien de tel en Europe où les peuples libérés du besoin participent à leur liquidation et transforment la vie en une triste fête.