Vol de nuit Abu Dhabi-Cointrin. Bus tiède qui glisse dans la pluie. Passagers venus du monde entier, et qui ne quittent pas Genève: Serbes, Arabes, Turcs, Portuguais. Travailleurs féodaux. Ils sont là pour nous remplacer et nous remplacent sans états d’âme. Mardi — encore trois jours à tirer: c’est l’horizon. Ce week-end ils dépenseront un peu plus d’argent qu’ils n’en ont. Pour l’instant ils paient de leur personne. Sept heures, quartier de la Servette. Le bureau est éteint, les postes allumés, les étagères pleines d’affiches. Comme nous avions coutume de dire lorsque nous posions les affiches de nuit, à la colle, au prix de Fr. 1.- l’unité: toutes ces affiches sont des billets de Fr. 1.-. Façon de mesurer sa fortune. Dès que le jour se lève Gala prend le volant de la voiture de livraison. Nous ne pouvons aller en France avec la mienne, les plaques sont listées aux douanes. Dans un supermarché cubique nous achetons pour cinq cent francs de nourriture, rentrons en Suisse, transférons les cabas dans la BMW, prenons la route pour Fribourg. Les armoires sont trop petites pour ranger toute cette nourriture. Plus tard je vais boxer et souffre: mal dormi, mal préparé au froid, à l’eau, à la neige. Mais c’est encore le meilleur moyen de rentrer chez soi: taper dans le plein, sentir cette résistance dont notre monde en apesanteur nous prive.