Cette femme mariée m’aime et je l’aime. Sa maison est face à la mienne, un ruisseau les sépare. Désespéré je mets le feu à mes meubles. Tandis que les flammes lèchent les murs, je rassemble un bagage. Trop petit mon sac à dos m’oblige à faire des choix. Ces chaussures n’ont pas de lacet, ce maillot est troué, dois-je emporter un stylo? La chaleur me cuit le derrière et je crains que le toit troué des flammes n’alerte la femme que j’aime. Je fuis par le jardin en pente et glissant quand son fils qui jouer dans la rivière donne l’alerte. Sa mère accourt et m’implore de rester. Trop tard, lui dis-je, j’ai tout brûlé. Elle marche alors derrière moi comme la vierge derrière son fils. Pour augmenter ma déchéance je vais fumer, me salir, souffrir, mais ai-je seulement un briquet? Peut-elle m’en donner un? Pitié, oui, elle a pitié, mais elle n’est pas inconséquente.
- Désormais, tu es livré à toi-même.
Lorsque je veux franchir la limite de la propriété, le sol se dérobe et il me faut marcher à quatre pattes. Le mari de la femme que j’aime arrive en voiture. Il approche avec lenteur, à la manière d’un homme important, puis s’en va sans un regard, témoignant par là d’une confiance absolue envers sa femme. Lorsque j’attends la route, la femme est toujours derrière moi mais elle ne parle plus. Un groupe d’Américains se dirige vers la vallée. Certains font du jogging, d’autres portent des chapeaux bariolés. Mon indifférence est totale: je ne fais plus partie de l’humanité. Ce qui m’amène à me représenter mon avenir. Je suis sans argent, sans moyens, sans parents, sans amour. Il me faudra dormir dans les fossés et chaparder ma nourriture. Ce qui me met à la merci de la gendarmerie, cette institution de France. Où est mon portefeuille? Il me faudrait au moins un carte de crédit, mais les cartes de crédit ont fondu dans l’incendie. La route passe dans un tunnel. Au débouché, la vallée apparaît à l’est. Plus loin les montagnes et la Suisse. Cent quarante kilomètres. Si je force, deux jours. Je me retourne pour savoir la réaction de la femme. Elle est restée en arrière les bras ballants, elle abandonne.