La réalité dans son entière vérité est un vêtement d’amour, phrase qui couronne une suite de scènes nocturnes vécues dans le demi-sommeil.
Dans un lit Mara, la tête qui repose sur l’oreiller, les cheveux défaits. Sa soeur est debout. L’une et l’autre belles et de la même beauté: jambes minces, fesses au galbe parfait, ligne de la culotte sous le pantalon de pyjama, taille serrée et poitrine ferme, menton vif, sourcils battants, regard profond et enjoué. La mort n’est pas loin qui révèle à l’homme son vide et fait de lui une machine à tuer.
Mara sur le bord du lit. Quand sa soeur s’est levée, elle ne s’est pas rapprochée. Puis quelqu’un m’enlace. C’est Olofso. J’admire Mara par-dessus son épaule.
Mara appelle la bibliothèque:
- Vous parlez l’hébreu? Passez-moi l’homme de main!
- Quel homme de main?
- Celui qui est à côté de vous.
- Oh, l’homme de main!
Les soeurs sourient, on ne peut rien contre elles, leur beauté les protège.
A bord d’un bateau blanc qui navigue en tunnel. Je veux noter ce qui précède mais les vagues qui balaient le pont mouillent mon carnet. Je tire une feuille volante de la poche de mon pantalon, le vent l’emporte. Une chaloupe atteint le quai. Elle est pleine de jeunes. Leur façon de se tenir serrés les uns contre les autres évoque une botte de jeunes pousses. Un matelot les débarque en les pinçant entre ses doigts.
Mara et sa soeur devant les caisses d’un supermarché. Elles fument et boivent. Toujours belles, l’oeil rond et lumineux. Puis s’écroulent et vomissent. Elles ne veulent pas de secours. Un homme dans mon dos. Lui a de l’ascendant. Elles agissent pour lui pas pour moi. J’aimerais, mais non: la correspondance est impossible, l’abîme insurmontable. Quand elles ont fini, elles se remettent à lire et je reste là, devant les caisses, seul et penaud.
De l’autre côté du trottoir un homme. Comme moi il a dormi dans un carton. Il se réveille, sort son boa. Le serpent m’attaque, sa langue en fil de serpillère fouaille. Je feins de dormir puis je bascule sur le bas côté de la route et dévale jusqu’aux égouts. Aplo et Luv s’y baignent. Je cours le long de la berge et leur tend les serviettes de bain qui me servent d’habits. Je regagne la route nu. Mara tient la main de l’homme au serpent.
Dans une librairie où sont vendus les livres qui racontent l’histoire de Mara et de sa soeur. Des enfants gitans feuillettent les volumes et les reposent: ils n’ont pas d’argent. Le libraire annonce que Mara et sa soeur ont été retrouvées et organise un concours.
- Je donne ce livre à celui qui saura comment on dit “cabine”.
Les gitans réfléchissent, concentrés et inquiets
Un gosse s’écrie:
- Une bourgeoisse!
Les autres enfants me fixent avec reproche.
- Je n’aurai pas su, je ne suis qu’écrivain.