L’adresse en main je me fourvoie dans une rue noire. Olofso confiante marche à mes côtés. A deux pas le boulevard est illuminé, puis il disparaît et la rumeur du trafic s’estompe. Je ne veux pas demander mon chemin, nous allons aboutir. Mais voilà que la rue plonge dans le passé, se remplit d’étranges bâtiments, ne semble plus de Paris. Une famille discute au carrefour. Elle s’interrompt à notre passage. Longtemps que nous devrions avoir trouver l’immeuble où vit l’écrivain O.T. remarque Olofso. Au téléphone, ce matin, O.T.s’est plaint du bruit qui monte de la rue jusqu’à sa chambre de bonne, or dans cette rue le silence règne. Olofso veut rebrousser chemin, je ne réponds pas. Quelque chose au fond de la rue m’hypnotise et je marche. Parce que je lis assidument Calaferte à cette époque, je crois reconnaître le quartier de Paris qu’il décrit dans les Cahiers, mais j’ignore s’il a jamais décrit Paris et je sais qu’il ne donne jamais de noms de rues. Vingt minutes plus tard, nous atteignons une épicerie arabe. Les victuailles sont figées, le propriétaire regarde devant lui. Nous l’interrogeons. Il ne sait pas. Il conseille de revenir sur le Boulevard. Quand nous retrouvons la lumière un passant nous oriente. Il recommande de prendre le métro alors qu’une demi-heure auparavant nous descendions à la station que l’écrivain O.T. nous avait indiquée, en précisant: c’est à deux minutes. Aujourd’hui je pense que cette rue n’existait pas. Nous arpentions un lieu parallèle, un lieu dont les habitants ont perdu tout contact avec Paris et le présent, un lieu où la vie est arrêtée.
Quand nous sonnons chez O.T. il ne demande pas les raisons de notre retard. Sa femme se tient au milieu de la pièce. Elle respire fort. Le plafond est en mansarde et je vois que se tenir debout, là, au milieu de la pièce, est la seule possibilité si on ne veut pas s’allonger sur le lit, or le lit est occupé par l’écrivain O.T. La femme éteint la lumière et nous sortons. L et moi buvons abondamment. Après le restaurant, O.T. nous emmène dans des bars. En fin de tournée une équipe de serveurs éméchés verse du cognac sur le comptoir de zinc et lui met le feu. Nous resterions toute la nuit mais O.T. est fatigué. Effrayé aussi, et las: l’excès qu’il invoque par le discours le trouve en fuite dès qu’il prend forme réelle. Il n’aime pas les flammes sur le comptoir ni les cris.
Un jour, bien avant Paris en cette année 1991, nous volons une voiture avec le projet de gagner l’Inde. Nous voici à la sortie de l’autoroute, nous voici dans la nuit et je n’ai plus qu’un but: l’Inde. J’en parle, je m’enthousiasme, je conduis. O.T. se tasse dans son siège. Il bougonne. Je lui demande ce qu’il a, il se tait. Peu après, livide, il fait arrêter la voiture, sans un mot descend, repart à pied en direction de Genève.