Dans une brasserie de l’av­enue du Prési­dent-Kennedy, sous le pont Bir-Hakeim. Menu sur ardoise, serveurs en bérets, comp­toir en zinc. Le patron, les employés, la serveuse, tous sont de la famille, la famille est chi­noise. Le tra­vail d’im­i­ta­tion ne s’ar­rête pas là. En plus du vête­ment, de la démarche, de la recom­man­da­tion des plats (saucis­son pommes vapeurs… ou alors nous avons le coquelet), le garçon cul­tive l’ar­got des bistrots. Puis à France-Cul­ture, chez Vein­stein, pour Ogro­rog. L’ingénieur du son tarde, ce qui nous donne l’oc­ca­sion de bavarder. Vein­stein est ravi d’ap­pren­dre qu’à seize ans j’é­coutais son émis­sion avec mon frère, l’ap­pareil radio posée entre nos deux lits et se plaint du quart-d’heure d’émis­sion per­du par rap­port à cette époque, il y a trente ans. Il ne se sou­vient pas m’avoir fait venir en 2003: heureuse nou­velle — seuls comptent les textes. Au début de entre­tien, jeu de ques­tions inat­ten­dues liées à la biogra­phie qu’on lui a remise et qui émane de l’as­so­ci­a­tion des nou­velles écri­t­ures théâ­trales: vous avez ouvert un bar à Valence en Espagne, vous avez fondé Affichage Vert, vous vivez dans des squats, vous écrivez des pièces… Puis on va à la lit­téra­ture et le plaisir, sem­ble-t-il, est réciproque. Quand Vein­stein me rac­com­pa­gne, quelques mots trahissent son amer­tume — partagée — quant à l’évo­lu­tion de la langue. Sur le chemin du retour, con­tent, j’achète deux chemis­es fines à Passy. Dans la bou­tique des touristes voilées. Elles se font mon­tr­er des pulls ango­ra, en reti­en­nent deux, paient et sor­tent. Quelques min­utes plus tard, elle sont de retour. “Il n’aime pas la couleur”. Le mari, resté dehors. Elle se font mon­tr­er d’autres pulls. J’ai juste le temps de faire emballer mes chemis­es avant qu’elles ne revi­en­nent pour la deux­ième fois. En face, une restau­rant coréen. Lim­ou­sines aux ver­res tein­tés et gardes du corps, repas d’une ving­taine d’hommes en cos­tume. Ils ont gardé leurs lunettes pour déje­uner, ils se tien­nent droit et pren­nent la parole à tour de rôle. La salle à manger est vit­rée, je les observe du fond de la bou­tique. Je remonte ensuite la ville à pied. Place des Abbess­es j’at­tends Gala. Au plaisir de la retrou­ver s’a­joute la crainte qu’elle ne vienne pas. J’oc­cupe une table ronde et petite, en ter­rasse, devant le manège et la bouche de métro. Des col­légiens ont des con­ver­sa­tions de col­légiens : baise, ivresse, épreuves du bac. Le tout orduri­er. Je cherche quel peut être leur milieu. Bien­tôt je suis ren­seigné: ils évo­quent un repas dans un apparte­ment voisin avec des politi­ciens en vue et leurs vacances chez la min­istre de la jus­tice. Un sms de Gala. Anx­iété avant d’en pren­dre con­nais­sance. Et si à l’heure de notre ren­dez-vous elle était encore sur la côte d’Azur?