Début août — jardin mag­nifique, grand soleil, mai­son vide. Les chantiers bouclés j’an­nonce enfin à cinquante per­son­nes une fête au jardin. Mais l’époque de la fête non-marchande est révolue. Il suf­fit de don­ner une date pour créer chez autrui un sen­ti­ment d’at­teinte à sa lib­erté. Une panique. A l’avenir on ne se ren­con­tr­era plus. C’est ma con­vic­tion. Plus d’ami­tié, plus d’amour. Ces mots témoigneront de formes humaines nou­velles. De formes con­tractuelles qui en cher­chant à préserv­er la lib­erté des indi­vidus niera la pos­si­bil­ité même de la lib­erté. Ironie, les faits — depuis trois ans que je creuse, déblaie, jette, assai­nis, char­rie, peint, brasse, porte, trans­porte, édi­fie — peu­vent faire accroire que je n’ai entre­pris la démo­li­tion puis la recon­struc­tion de la cure de Lhôpi­tal que pour recevoir mes amis le temps d’une nuit. Avant j’é­tais seul, après je serai seul. Il faudrait en tir­er les con­séquences et détru­ire. Met­tre le feu à la baraque, la regarder se con­sumer. Finir le tra­vail. Cela ne me gên­erait pas. L’ef­fort con­sen­ti a valeur en soi. La destruc­tion ne le nie pas. Ce n’é­tait pas oblig­a­toire­ment le résul­tat que je visais, c’é­tait la sat­is­fac­tion d’une volon­té. Mais on est jamais pro­prié­taire. Pas plus ici qu’en régime com­mu­niste. Ce qui nous appar­tient, il est inter­dit de le détru­ire. Mis en dan­ger d’autrui, et autres for­mules de juristes. D’ailleurs il faudrait con­tin­uer de pay­er la banque pour une car­casse noir­cie. Pen­dant trente ans. Autant dire jusqu’à la mort. Du posi­tif : au cours de cette expéri­ence (acheter, démolir, recon­stru­ire, amé­nag­er pour se retrou­ver seul), aura été illus­trée ma théorie des extrêmes. J’ai mis toute mon énergie dans cette mai­son, j’ai enfer­mé dans cette mai­son toutes mes choses, j’ai occupé tout le ter­ri­toire, toute la vision que per­me­t­tait le site, je vais désor­mais pass­er à l’autre extrême, habiter n’im­porte où, avec un mate­las et des livres, m’en tenir à ce que je pos­sède, à ce qui tient à moi, mes mains, mes jambes, ma tête. Et Gala qui a fui sur la Côte-d’Azur. Mais à quelle adresse? Elle ne veut pas dire. Et les enfants… le plus sou­vent en Suisse, et la famille… les amis? Autour de l’église, par delà les champs, le maire qui recourt au préfet pour me con­train­dre à ouvrir l’en­ceinte, les gen­darmes qui frap­pent à la porte: on vous sur­veille! Et les vil­la­geois, moulés dans l’id­i­otie, der­rière leurs volets clos, qui se frot­tent les mains .