Mois : mars 2011

Le plus impor­tant, la famille, est incom­pat­i­ble avec l’am­bi­tion de l’homme. Ou alors il faut que la famille puisse s’i­den­ti­fi­er avec cette ambi­tion et s’é­panouir en elle. Mais notre régime social tra­vaille à la liq­ui­da­tion de cette iden­ti­fi­ca­tion. Cha­cun boit les sucs et gon­fle ses mus­cles pour s’ex­traire de la famille. Et devenir un indi­vidu quel­conque. Qui bien­tôt déçu de son manque de sin­gu­lar­ité ten­tera de se com­pléter par la famille. Le réen­chante­ment passe par la mod­estie et la con­ser­va­tion de la posi­tion dans la famille. Il est pos­si­ble à la con­di­tion que l’am­bi­tion coïn­cide à nou­veau avec l’ac­com­plisse­ment intérieur.

Autre con­férence de Bernard Stiegler que j’é­coute en pédalant sur mon vélo sta­tique, dans l’ate­lier. Son pro­jet de sauve­g­arde de la démoc­ra­tie a pour lui la rai­son et con­tre lui un peu­ple détru­it par la démocratie.

Demain voiture, tôt, trop tôt, puis le train avec d’autres pas­sagers aux corps tièdes qui ten­dent les bras vers le week-end (dans deux jours). Un ren­dez-vous à Lau­sanne avec un client . Il veut enten­dre: “ne vous inquiétez pas, nous­tra­vail­lons pour vous”. Je dirai ce qu’il veut entendre.

Etrange. Tout. Comme dans une cen­trale nucléaire qui fonc­tion­nerait sans un homme pour la sur­veiller et employ­er l’én­ergie qu’elle produit.

Nos prob­lèmes sont de faux prob­lèmes. Créés et entretenus. Mais nous ne sommes plus dupes.

Trans­port de plaques de plâtre dans la nuit. Seul. Quand cela fini­ra-t-il? Des avions sur­v­o­lent l’église. J’ai râtis­sé les pier­res, deux étoiles bril­lent au large. Un film d’ac­tion. Je le regarde jusqu’au bout. Et à nou­veau le lit. Où je suis bien. Et nulle part. Dans el cof­fre de la voiture, dix plants de salades oubliés. La voi­sine dit que c’est trop tôt pour les tomates, mais que la salade, on peut.

Tout fait réfléchir et incline notre déci­sion, mais ce qui par dessus tout incline notre déci­sion, c’est notre rap­port aux choses pos­sédées, le prob­lème étant que, faute de rien pos­séder, la déci­sion est prise par les autres, la pro­priété définis­sant seule aujour­d’hui la posi­tion de pouvoir.

Gala, par la fenêtre de son petit loge­ment crie, de façon à être enten­due:
- Tu me fais peur! tu me fais peur!
Je me tiens sur le pas de la porte, un paquet de chips et quelques bières à la main.
Elle n’ou­vre pas. Le voisin tape dans les pneus de sa jeep pour se don­ner une con­te­nance. Il surveille.

Avec Mohammed au restau­rant des Allo­bro­ges de Seyssel. Vue sur l’autre berge du Rhône et le monastère des Capucins où nous viv­ions avec Gala il y a cinq ans, avant que le pro­prié­taire, pour une lubie, ne nous en chas­se. Nour­ri­t­ure médiocre, mais l’in­vi­ta­tion de mon chauffag­iste me fait plaisir (j’au­rai préféré rester au jardin, à regarder les arbustes bour­geon­ner, à écouter les nou­velles de Fukushi­ma et de Lybie). Sur la ter­rasse, appren­ties coif­feuses et ouvri­ers du bâti­ment, les unes attiffées, les autres l’oeil rouge, la clope au bec. Mohammed racon­te l’ad­min­is­tra­tion, et sa bataille d’ar­ti­san qui s’in­stalle, à qui on refuse le per­mis, le tra­vail, le prêt d’ar­gent. Sen­ti­ment général de blocage: les français ne par­lent que de cela. Et fanfaronnent.

Sat­is­fac­tion à l’idée que je vais dormir. Je suis à mon bureau, jambes allongées dans la nuit. A la branche faîtière du poiri­er se bal­ance le bidon d’in­sec­ti­cide sur lequel la famille tire au pis­to­let. Je ne tra­vaille pas. J’ai quit­té le bureau. Sans dire que je ne reviendrai pas. Pas aujour­d’hui pas demain. Lais­sé la ville, quit­té la grande machine. Et la vue de mon lit, ce soir, avec ses draps beiges, ses tablettes trans­par­entes, ses lumi­naires en tubes, me rem­plit de satisfaction.