Deux journées de nav­i­ga­tion sur le Mékong lao­tien de Hua Xai à Luang Prabamg. Cette opéra­tion touris­tique, à pre­mière vue rébar­ba­tive (trans­port en groupe pour se ren­dre à la jetée, récolte des passe­ports, mon­tagnes de valis­es) tourne à la fête. Midi à peine, les voyageurs ouvrent du rhum, de la vod­ka, du whyskie, dis­tribuent des ver­res, pilent de la glace. Au fond de l’embarcation, en bois et plate, ouverte sur le fleuve, une dame vend de la bière, des soupes, du café. Très vite, les con­ver­sa­tions se pro­lon­gent vers la proue, dans toutes les langues, les places sont échangées, on se sert la main, on se prête des livres, on racon­te sa route, on mon­tre ses pho­tos. Et bien­tôt, les éléphants qui dépla­cent des grumes sur la berge, les pêcheurs qui ten­dent leurs filets, les lavandières, le pas­sage des rapi­des, les rochers noirs, les vil­lages per­chés, les haltes, tout devient irréel. Hormis deux polon­ais­es de Lon­dres qui mitrail­lent avec des appareils à téléob­jec­tif, per­so­n­en ne sem­ble remar­quer les éléphants — ce qui me frappe et m’amène à me dire, men­tale­ment “enfin quoi, ce sont de vrais éléphants, qui tra­vail­lent à coups de trompe…”. De fait, les bateaux et les bus représen­tent l’oc­ca­sion pour le routard de s’oc­cu­per de soi. Il se laisse-aller. Prend pen­dant quelques heures des lib­ertés envers son devoir de voyageur. Ain­si des anglais­es dor­ment affalées sur le pont, les chiliens de Bris­bane expliquent les inon­da­tions de décem­bre, une québec­quoise par­le de sa dépres­sion, un colom­bi­en chef de cui­sine de son tour du monde culi­naire. Deux améri­cains mènent la danse, Abra­ham et Jere­my. Il sont pro­fesseurs en Corée. L’un est noir et si gros que le bâteau (50 mètres) tangue lorsqu’il va se rav­i­tailler en bière, l’autre, chaussé de lunettes à mon­tures vertes est un bouf­fon plein d’e­sprit. Les heures passent et lorsque vient notre tour d’of­frir une tournée, je con­tate que nous sommes sans le sou faute d’avoir fait du change. Des hol­landais qui par­courent le Laos et le Viet­nam à vélo (lui 72 ans, elle 68) nous font une avance. A Pak Bemg, la ville étape, un alle­mand nous évite le vol de nos bagages. Ces touristes qui débar­quent en une fois sont le seul revenu de la journée. Sen­sa­tion désagréable. Gala part devant pour trou­ver une cham­bre, je n’ai plus qu’à essuy­er des refus polis et à trans­porter ses deux valis­es. Le lende­main, reour au fleuve, ce qui ne va pas sans ner­vosité, per­son­ne ne con­nais­sant l’heure départ du bateau. Les groupes se refor­ment, sur le quai les indigènes vont pour­voir faire leurs comptes jusqu’à l’ar­rivée du bateau suiv­ant, le soir (je sup­pose). Huit heures plus tard, Luang Prabamg est en vue. Tou­jours désar­gen­tés, nous sommes oblig­és de suiv­re le cou­ple hollandais.