Pendant trois heures l’avion est au sol, j’ai tout loisir d’observer la femme qui occupe le siège à gauche du mien, deux rangée devant. C’est N. A cause d’une dépigmentation de la peau, elle cache ses poignets et je remarque à la racine des ses cheveux, sur le front, une lunule claire. Elle est d’une sensualité. On la dirait nue. D’autres hommes observent. Des hommes chenus, des retraités qui reviennent de leur golf près d’Alicante. Vingt ans plus tôt, j’ai connu N. à Budapest. Par idéologie, par masochisme, son père avait marié une communiste hongroise. N. venu le visiter fumait, mangeait, buvait, se droguait. Chacun de ses gestes démentait l’importance de la politique. Plus tard, à Paris, elle était psychanalyste. Elle dévalisait les traiteurs, accidentait des décapotables. L’avion est sur le tarmac. Immobile. Pas de créneau de vol. Le pilote multiplie les annonces réconfortantes. Une passagère réclame un Coca-cola. Le personnel de bord n’est pas autorisé à vendre. Il lui propose de l’eau.
- L’eau me rendra malade, s’écrie-t-elle.
Les autres passagers s’en mêlent. N. est au milieu. Elle ne remue pas un cil. Elle croise les jambes, glisse un doigt entre les pages de son livre, le tient fermé, sur la tablette. Indifférente. Parmi deux cent passagers N. est la seule qui n’est pas là.