Ce soir, sur la place du village, j’ai passé une heure à gratter mon nouveau bus. Seul déparait un élément usé sur les bords : l’autocollant longiligne marquant de noir la bavette arrière du véhicule. Je renouais alors avec une histoire ancienne: canif en main je pense faire vite, mais les couches résistent, la surface est encollée, elle doit être nettoyée, il y faut de la patience, de la méthode, de la minutie, il faut s’acharner. Pour autant, je ne dédaigne pas ce genre de travail. Il contribue à améliorer les objets. Dans la transmission, ce qui vous est donné en mauvais état est restitué au monde en bon état. Une satisfaction. A quarante d’ans d’intervalle, je faisais de même avec mes planches de skate. L’acmé de ces efforts de conservation et d’entretien des choses eut lieu l’année 1979 à Fribourg. Tony Alva, la champion de Santa Monica commercialisa une planche de park peinte d’un logo façon Pollock. Une semaine durant je contemplais ma planche, soit le modèle précédent. Je résolus alors d’effacer sa décoration et de reproduire à l’identique le nouveau logo en me servant d’une ponceuse, d’une gouge, de six pots de peinture et de deux vernis.
Lire
Mon vélo statique est installé dans la bibliothèque. C’est également la pièce qui donne sur le jardin donc un passage obligé (la maison est petite). Lorsque les voisins viennent dîner, ils passent par la bibliothèque, voient les livres, posent des questions, demandent pourquoi cette quantité de livres. Questions qui gênent Gala. Elle dit: c’est immodeste d’exposer ainsi ses livres! Mais à quoi sert une bibliothèque, n’est-ce pas? Et puis je les lis ou je les ai lu, témoins mes initiales et la date que je place en première page après lecture. D’ailleurs, il n’y en a que mil cinq cent, en tout cas moins de deux mille. Quelques années encore et un livre posé sur la table du salon (ce lui qui vous lisez) vous vaudra d’être qualifié de prétentieux! Aussi me félicité-je de cette note lue hier dans le Journal de Calaferte: … que je ne retrouve pas, mais il dit en substance: quittant l’appartement de Lyon, j’ai dû hélas me séparer de mes 45’000 livres, la nouvelle maison étant trop petite.
Conformation
La touche ‘répétition’. Faire advenir une répétition. A considérer dans le sens industriel et psychologique mais aussi, mais nécessairement, dans le sens inverse — psycho-industriel — puisque tout processus exige d’être conçu. Donc conformation du projet puis passage à l’acte. Or cette répétition devenue le thème tout-puissant de notre Occident contemporain est principalement une façon de s’assurer de la perfection du faire, autrement dit, une façon d’obtenir que le futur soit expurgé de ses aléas en répétant le présent — lequel prend la place du futur en tant qu’éternel présent.
1977
Souvenir net de l’enchantement ressenti à se promener seul dans les rues de la grande ville. Conjointement, perte de cette faculté, faute de disposition, peut-être d’esprit; à moins que la ville nouvelle, plus synthétique que dans le passé, désormais se refuse. Maintenant que les problèmes d’argent liés à la liquidation de l’entreprise diminuent et limitent la pollution intime, je tenterai de renouer avec ces divagations. Seule expérience récente en ce domaine, Détroit. Mais une agglomération aussi dénuée d’histoire ne peut produire l’effet de nos capitales du premier monde. Quoiqu’il en soit: mes parents ont fait l’année de mes douze ans un travail de libération dont je leur sais encore gré en m’envoyant me balader seul dans Madrid les mercredis, jour où nous n’avions pas école. Monter dans un bus après le repas, je roulais vingt minutes pour atteindre l’arc de Triomphe de la Moncloa après quoi je n’avais plus qu’à marcher au hasard des rues ne m’arrêtant que pour demander un verre d’eau aux comptoirs des bistrots.