Bavière

Caress­er l’herbe, boire l’eau (et la bière), humer les forêts, saisir déli­cate­ment les dômes des clochers, acheter du bois frais. Quelle contrée!

En route

Pour la douane de Saint-Mar­grethen, sur les bor­ds du lac de Con­stance. Berne, autoroute arrêtée. Zurich, autoroute arrêtée. Quel jour sommes nous? Tous les jours. Tous les jours ain­si, arrêté. L’an­née dernière comme j’al­lais à Munich, arrêté. L’an précé­dent direc­tion Rosen­heim, arrêté. Sat­u­ra­tion, immo­bil­ité, Suisse, dif­fi­culté, obsta­cles, Suisse. Notre pays. Plein de voitures de luxe, arrêtées. Tra­vers­er nous coûte trois heures. Enfin la zone frontal­ière. Je passe le volant à Gala. Elle n’a jamais con­duit le van. Elle peine. Ce n’est pas facile: le van mesure cinq mètres et le traf­ic est arrêté: un long ser­pent qui se con­vulse et tou­sse. Sur le pont qui fait douane, Gala cale. Un sbire à képi hésite, mais un camion­neur le hèle, il renonce. Gala redé­marre. Elle tire le van jusque de l’autre côté du Rhin. Arrivé à Hard, vil­lage musul­man, Autriche, elle s’écrie: “tu n’avais pas dit que ça mon­tait, plus jamais une douane à la mon­tée!”. Je reprends le volant. Nous entrons en Bav­ière par une route ascen­sion­nelle qui tra­verse des bois dorés et des pâtures vertes. Grande beauté. Quelle richesse! Nar­cisse et Gold­mund, l’ar­ti­sanat mil­lé­naire, les vach­es, les pacages, tout est radieux. Au camp­ing d’Alpsee, je fais val­oir que j’ai réservé. Et alors? La chef­taine explique. Elle ne tient les réser­va­tions que “jusqu’à onze heure trente”. Elle débloque (c’est le vocab­u­laire des loisirs con­tem­po­rains) une Not­platz. J’a­chem­ine le van vers la par­celle d’ur­gence no 66 devant le regard de cou­ples qui caressent des chiens, jouent aux cartes, passent l’aspi­ra­teur, soignent des bégo­nias. Plus tard nous man­geons de sauciss­es de Nürem­berg au bord de l’eau, je com­mande un Mass, un sec­ond Mass, un troisième Mass. Au milieu de la nuit, comme je veux ouvrir le van de l’in­térieur, la sirène de panique s’enclenche. 

Cube

Dès le matin en basse-ville, sur le bal­con de bois de N0N. Il cuit du café. D’un cabas de super­marché je tire les deux maque­ttes du Cube que j’ai apportées d’Es­pagne. La pre­mière est visuelle, je l’ai con­stru­ite afin de représen­ter l’outil de tra­vail de notre future entre­prise d’en­seigne­ment d’au­todéfense, la Cube train­ing com­pa­ny; la sec­onde, à l’échelle, conçue par Evola (grâce à ses dons de mar­i­on­net­tiste) étudie les charnières. Toutes deux font dix cen­timètres de côté; le pro­to­type que con­stru­it le Fab-lab de l’U­ni­ver­sité de Saragosse mesur­era lui un mètre cube. N0N sert le café, nous plan­chons trois heures sur l’assem­blage, la résis­tance des matéri­aux, l’in­ser­tion des pan­neaux didac­tiques, les chais­es d’en­traîne­ment et les armes fac­tices que con­tien­dra le cube. A midi, N0N grille un steak dans un toast­er à viande reçu d’un ménage de Zurich. La journée finie, je retourne au van. Il est garé à Granges-Pac­cots, sur le côté de la can­tonale, à trois kilo­mètres de la basse-ville où habite N0N. Même là, un règle­ment stip­ule: “temps max­i­mum 10h”. Chemin du retour, je longe la caserne fraîche­ment désaf­fec­tée de la Poya. Sur la piste d’ex­er­ci­ce des camions, des treuils, des chi­canes, des mortiers. Sur l’aire de jeu, des Pak­istanais habil­lés en tal­iban jouent pieds nus au cricket. 

Ville basse

Assis sur un banc des berges de la Sarine dans un épais soleil de fin de journée, Mon­a­mi, N0N et Claude. Nous par­lons de P.I.L, de Krav Maga et de tir tac­tique, de nos par­ents et de vacances. Une femme promène une cou­ple de chiens à roulettes l’ar­rière train amputé. Un drogué prend appui sur le mur d’en­ceinte de la ville-ville et pisse. Mon­a­mi part chercher des bières au kiosque. De retour, il dit : “le drogué com­met­tait un vol, les munic­i­paux vien­nent de l’ar­rêter”. Vers le pont du Milieu, une femme genou à terre souf­fle sur un brasero tan­dis que son ami à chignon déballe des sauciss­es de légume. Il fait chaud. Trente degrés. Peut-être plus. A tour de rôle, nous sai­sis­sons nos télé­phones pour appel­er Gula. Elle ne répond pas (à minu­it, elle m’écrit: “je regar­dais un film avec mes enfants”). En con­tre­bas, dans la riv­ière, les bas de pan­talons retroussés, un touriste marche dans l’eau. Un appareil-pho­to pend sur sa poitrine, il a l’air ravi. Nous sommes tou­jours sur le banc. Mon­a­mi pro­pose de louer un cham­bre d’hô­tel, nous y dormiri­ons après avoir fait la fête. Je sug­gère de fauss­er com­pag­nie à nos amis de Fri­bourg pour retourn­er au camp­ing de Morat. Pen­dant un moment, nous ne dis­ons plus rien. Long moment. “Encore dix ans, dis-je aux autres, et nous ne dirons plus rien, nous regarderons sim­ple­ment devant nous”.

Le Grand Jeu

“Je te dirai: est un maître celui qui donne des occa­sions de s’in­stru­ire… Un maître ne pensera jamais pour toi : il te fourni­ra des occa­sions de penser que tu peux saisir ou ne pas saisir; si tu les sai­sis, tu recon­naî­tras qu’il a été un maître pour toi, sinon, non. Enfin, peu à peu, tu appren­dras (et j’ap­prendrai) à con­sid­ér­er tout homme, toute chose, tout fait, comme une occa­sion de penser, donc comme un maître. []”. Let­tre de René Dau­mal à Roland de Renéville à pro­pos de Alexan­dre de Salz­mann, échange épis­to­laire entre les mem­bres du Grand Jeu.

Blanc-sein

Vicaires de Dieu. Du pape au bedeau. Attrapés, ils font excuse de leurs erre­ments. Ils ont tort: le vic­ari­at est le sein des ayants-droits. Sinon, à quoi bon l’u­ni­forme? Suf­fit de croire en Dieu. Qui se moque des uniformes. 

Guerre contre le peuple

Robots et immi­grés, les deux objets qu’il faut posi­tion­ner et relay­er sur les ter­ri­toires d’Oc­ci­dent afin de court-cir­cuiter le flux vivant de la civilisation.

Famille

Dou­ble réu­nion à Munte­lier sous le sol pleureur qui abrite le van. Avec Mon­père et sa femme d’abord, avec les enfants ensuite. Table de pique-nique, olives espag­noles, laitue espag­nole, rouge espag­nol. Mon­père me rap­porte la lampe à pét­role géante que j’ai util­isée il y a dix ans dans la mon­tagne de l’Obler­land alors que j’écrivais Aca­blar. Lampe com­pliquée, dif­fi­cile à allumer et lourde, et encom­brante. Qui dès le deux­ième jour, alors que la neige tombait, que les tem­péra­tures chutaient, ne don­na plus aucune flamme. La voici embar­quée dans le van et je devine que je l’emporterai en Bav­ière la semaine prochaine, puis en Slovénie et en Hon­grie avant de la ramen­er en Aragon et de la jeter — ou de la garder, l’essen­tiel étant de n’avoir pas à la ral­lumer. Les enfants? Bien — très bien. Des adultes. Etu­di­ant, tra­vail­lant. Pour ce que l’on sait d’eux. Mais le rôle d’un père n’est pas de savoir, il est d’aider quand s’en man­i­feste le besoin, de con­seiller quand il y a problème. 

Muntelier 2

Assis en rond sous des para­sols en bois de palme, tournés en direc­tion le lac et du Mont Vul­ly, les hôtes du camp­ing admirent le paysage. Plus tard ils pho­togra­phient le couch­er de soleil thaï­landais. La nuit venue, un vieil­lard à cheveux longs monte sur un tabouret à vis. Il joue au clavier Kiss, Cochran et Polo Hof­fer. Des étu­di­ants loués pour ce dernier same­di de l’été ser­vent des frites et des ham­burg­ers. Le sen­tier qui con­duit à mon van est pavé de nains.

Muntelier

Van instal­lé sur la berge du Lac de Morat, à Munte­lier. Canards gis et poules d’eau jouent de la flûte, les roseaux bal­an­cent, les voisins sont Bernois, Bâlois, Schwytzois.