Rincón de la Victoria est un village de trois rues et 20’000 personnes. Dans les rues anciennes, la population ancienne, dans les contreforts et à flanc de montagne, les citadins, les visiteurs, les touristes et les golfeurs, colons saisonniers qui s’abattent sur la région au premier jour de la Semaine sainte, profitent de la plage au printemps, commence de refluer mi-août; plus haut, derrière le pic des montagnes, à nouveau les anciens. Ceux-là tenaient la côte jusqu’en 1960. Familles des pêcheurs qui vivaient loin au-dessus de la mer dans des maisons taillées en cubes de sucre et barbouillées d’œillets rouges. Les hommes descendaient le matin à leur barque pour remonter le soir. Depuis Málaga, en allant vers l’Est, un système de falaises forme un chapelet de criques. Chacune a son nom, les plus importantes ont leurs villages. Juste avant Rincón (le Coin de la Victoire), la Cala del Moral (la Crique du Maure). Entre l’un et l’autre, j’ai vécu là trois ans et comme la population ancienne est ancienne, elle change peu. On la trouve dans trois rues ou, s’il ne fait ni trop chaud (moins de 30°) ni trop froid (plus de 18 °), le long de promenade maritime, déambulatoire de dalles posées sur une vieille ferroviaire. L’heure du crépuscule approche lorsque je quitte l’autoroute pour La Cala. Nous empruntons avec Xam la rue qui jouxte la promenade et je trouve au même endroit qu’il y a trois ans, le voisin du 12 (j’habitais au 11) qui passe sa journée assis dans l’abribus du 183, l’idiot à lunettes rafistolées qui harangue les voitures face à la boulangerie, le gitan de Vélez qui ordonne sur son bout de trottoir mangues, avocats et tomates puis Antonio le motard-coiffeur qui s’occupe dans son échoppe de ces clients (qui ont chacun reçu une carte a jouer pour l’ordre de passage), mais encore María la vendeuse de bombons dans son kiosque de tôle et les Chinois, tous les Chinois, qui sur son siège, son fauteuil, son tabouret, le petit râblé de la Cala, l’adolescente de cire, la mégère a chignon, chacun à la caisse de sa boutique, les yeux sur le téléphone mobile, comme hier, comme demain, comme toujours.