Au bout de la rue noire, dans une échoppe velue, une Noire vendait du manioc assise sur d’énormes sacs, déplaçant ses fesses pour libérer le passage comme mon bras se tendait en direction de l’armoire frigorifique remplie de bouteilles. Mais au lieu de saisir, j’hésitais, lisant l’une après l’autre les étiquettes.
-Du coca-cola, est-ce que vous avez ça?
-Comment tu dis?
Modifiant ma prononciation:
-Du coc-acol‑a!
La dame disait que non, elle n’en avait pas.
Assoiffé, je tenais la main à petite distance d’une bouteille de Fanta, mais à me représenter ce liquide orange et doux coulant sur la langue et dans ma gorge, je songeais, “je ne vais pas boire cette saloperie!”.
-Avez-vous de l’afri-cola?
Elle n’en avait pas. Me précipitant au fond du magasin, j’allais me plaindre à son fils, un demeuré qui vivait perché sur des sacs de manioc, du peu de volonté de collaboration de sa mère, laquelle nous rejoignait, déchargeant à nos pieds, dans un sac plus petit, un ensemble de graines, de farines et de poudres moisies “à trier, disait-elle, pour les mettre en vente”.
Classe 2
Classe
Arrivé en retard en classe, je voyais que le devoir d’allemand exigé par la maîtresse comptait trois pages. Or, je n’en avais que deux.
-Madame, disais-je, je suis tout à fait capable de produire le reste de la dissertation, j’ai mal interprété votre demande.
Rassuré, je m’entendais répondre:
-Prenez votre temps! Rapportez-moi ce que vous avez écrit!
Derechef, je m’exécutais, quittant jambes au ventre les bâtiment d’école, me fourvoyant tel un rat de laboratoire dans les couloirs d’un labyrinthe flanqué de pavillons identiques. Ayant récupéré le reste du devoir, je repartais dans l’autre direction, mais alors, les numéros de classe ne correspondaient plus. Hissé sur la pointe des pieds, je trouvais assis en rang des enfants plus petits, plus grands, inconnus, toutes sortes d’enfants sauf mes camarades. Un professeur à la retraite me croise: “eh bien, quand vous aurez fini de gesticuler, venez me rejoindre dans la salle de sports, nous nous exercerons!”. Et tout en filant, je disais: “volontiers!”. Plus loin, une négresse à chignon me barrait l’entrée d’un entrepôt. Tout de même je jetais un œil à l’intérieur: des poutrelles métalliques. De retour dans les allées du labyrinthe, survenait le fils du voisin, un petit roux qui, selon l’expression, avait “bien grandi: au lieu de conduire un tricycle, il conduisait un petit camion. Ainsi, courant d’une allée à l’autre, le devoir en main, je me disais: j’ai tout pour réussir, mais je suis perdu, l’heure est passée, le succès est derrière moi.
S’amuser
Dès que je fus ne mesure de répondre intelligemment à la question, je me demandais, “est-ce que tu t’amuses?”. Rarement je disais “non”, ou alors je m’arrêtais pour considérer la situation et, autant qu’il se peut, y remédier. Aujourd’hui une autre question s’impose, “comment rendre la vie intéressante?”. Affaire peut-être — oui, certainement d’âge, mais aussi organisation typique de la société: les marges maigrissent tandis qu’augmentent mécaniquement les questions à réponses déterminées.
Genève
Genève est un zoo où se montrent, à la grande fierté de ses directeurs, toutes les espèces de la terre. L’ingéniosité du dispositif est révolutionnaire: les barreaux sont réels, les cages sont invisibles. Pour autant, la direction ne fréquente pas les rues de la ville. Elle délègue aux politiciens, ces subalternes, la tâche de se mêler aux pensionnaires, lesquels s’en acquittent — sauf en période de cens — du bout des doigts. Une fois de l’an, le climat étant peu favorable sous nos latitudes, la direction tient réunion sur le territoire fédérale, dans une station de ski huppée, sous la protection des derniers éléments suisses intégrant l’armée de milice, des soldats bernois.
Ne savoir pas 2
-Viens!
-Où?
-Que sais-je? On pourrait prendre un hôtel?
-Il y aura de la neige?
-De la neige? C’est un peu tard, non? Il faudrait monter à plus de mille mètres.
-Allons en Bourgogne.
-A deux cent kilomètres?
-Pas du tout, c’est à côté!
-A côté, à côté… Autant aller en Savoie!
-Seulement s’il y a de la neige.
-Il n’y en a pas.
-…
-Alors?
-Ce sera trop cher.
-On s’en fout.
-De toute manière, te voir quelques jours, c’est trop douloureux. Je n’en peux plus.
Ne savoir pas
Gala est moi sommes habituellement séparés. Distance infranchissable, du moins à bonne vitesse. Entre nos lieux de vie, il y a mille, deux milles kilomètres. Dès lors, tout passe par les conversations téléphoniques, les promesses de réunion, la procrastination — nous attendons. Quand nous sommes à distance relationnelle, ces jours Genève et Lausanne, nous ne nous voyons pas. Eploré j’appelle, cherche à comprendre.
-Bon, mais que fais-tu?
Gala réfléchit:
-…je ne sais pas.