Car jacking

Après trois jours de com­bat, derniers entraîne­ments sur l’aire de sta­tion­nement de la Foire de Mala­ga où nous garons huit voitures, les uns attaquant les autres à coups de poings puis à l’arme blanche et au pis­to­let. Posi­tions répétées: quand je vais à ma voiture, quand j’ou­vre la por­tière et, plus dif­fi­cile, lorsque les mains sur le volant, alors que la voiture roule, le pas­sager me glisse un couteau sous la gorge. Entre euphorie et épuise­ment, nous encais­sons les coups en riant, aus­si con­tents qu’une bande d’enfants.

Plastique humaine

Menu du jour avec les instruc­teurs et d’autres com­bat­tants dans un quarti­er proche de la Foire de Mala­ga aux maisons bass­es brûlées de soleil. A la table voi­sine, une famille d’ou­vri­ers avec oncles, grands-par­ent et deux ado­les­cents dont une fille au physique excep­tion­nel que je suis seul, assis dans l’an­gle, à voir et que je regarde à n’en plus pou­voir pen­dant le repas, non telle­ment pour sa sen­su­al­ité (elle doit aller sur ses qua­torze ans) que pour sa plas­tic­ité qui, chose rare, est par­faite, aus­si bien dans les rap­ports que pour la finesse du cou, du nez, du men­ton. De plus, le car­ac­tère physique incar­ne l’An­dalouse idéale: cheveux de jais, front alti­er, de grands yeux aux cils arqués, un port droit et fier qui ne plie pas. “Retourne-toi”, dis-je à Mon­frère. Ce qu’il fait sans trou­ver à cette image la fas­ci­na­tion que j’y trou­ve. Le repas se pour­suit, entre deux bouchées, je ne cesse d’ad­mir­er. Elle, jamais ne pose le regard sur notre tablée, d’où cette ques­tion: nous a‑t-elle seule­ment vus? Plus étrange, alors que la famille entière, façon espag­nole, par­le, rit, s’ex­clame, elle ne prononce pas un mot. Nous buvons le café avec Izraeli quand elle sort der­rière son père. La salle de restau­rant étant con­stru­ite en sur­plomb du trot­toir, j’ai alors une vue plongeante sur la gamine, qui s’éloignant tient la main droite sur son entre­fesse la paume vers l’extérieur.

Bus

Entraîne­ment antiter­ror­iste à la cen­trale des trans­ports publics de Mala­ga. Au sig­nal, les com­bat­tants répar­tis en deux groupes entrent cha­cun en courant par une des portes opposées du bus, se croisent, se bat­tent et ressor­tent. Après cet échauf­fe­ment par les coups, nous mon­tons tous à bord, le chauf­feur démarre et roule. Un des vingt com­bat­tants, armé d’un couteau, attaque un pas­sager. Les autres don­nent l’alerte, défend­ent, désar­ment et abat­tent le ter­ror­iste — ils saut­ent à terre. Ain­si toute la mat­inée, con­tre des pre­neurs d’o­tages armés de pis­to­lets ou de fusils, soli­taires ou en groupe.

Belle légionnaire

Camp de la légion espag­nole, je dis­ais à cette femme, “que les sol­dates sont belles!”. Qui l’é­taient non seule­ment par le corps, sou­ple, mince, en mou­ve­ment, mais par la com­bi­nai­son tac­tique, cein­tures de charge et posi­tion des armes, conçue avec une intel­li­gence que trahis­sait l’esthé­tique du portage (la ques­tion m’ag­i­tant dans la vie réelle depuis deux ans sans que je sois par­venu à trou­ver la solu­tion). J’embrassais alors ma parte­naire. Désireux de l’emmener, je lui dis­ais, “nous irons où tu voudras!” Pour ajouter aus­sitôt: “sauf en Suisse!”
-Tu es trop vieux!
Fâché d’ap­pren­dre que j’é­tais vieux, je raison­nais: nous pas­sons tous deux le bac et, je veux bien, je suis plus âgé qu’elle, mais enfin même si nous avons tout raté… bref, quel âge a cette femme?
-Trente-deux, tu as trente-deux ans, lui dis­ais-je, ce n’est pas si jeune pour pass­er le bac, nous fer­ons un beau cou­ple!
Quand, à part moi, je songeais, “tout de même, dix huit ans de différence…”

Fatigue

Dor­mi dans quinze cham­bres dif­férentes répar­ties dans qua­tre pays ces trentes derniers jours. Me réjouis d’être chez moi; mais où est-ce?

Projet

Le mieux est de ne plus rien faire, mais cela non plus n’est pas permis.

Tejero

Chez Yas­sine — Serge qui a vécu en Espagne à la fin du régime fran­quiste me racon­te que ses amis, proches des grandes familles de Madrid, l’avaient aver­ti du coup d’E­tat du lieu­tenant Tejero et de son usage: asseoir le pres­tige du nou­veau roi Juan Car­los dont l’héritage sym­bol­ique après la mort du Caudil­lo était mal assuré. Les images des gardes civils tirant au fusil par­mi les députés des Cortès avaient fait le tour des télévi­sions. Quelques heures après les événe­ments, le télé­phone son­nait chez mes par­ents à Lau­sanne. Des amis d’Ar­ava­ca demandaient à met­tre leurs enfants à l’abri en Suisse. Dix ans plus tard, comme je vivais à Valence, mon ami Jésus, à qui je don­nais à domi­cile des leçons de français pour la pré­pa­ra­tion de l’ex­a­m­en de diplo­mate, me mon­tra les pho­togra­phies pris­es depuis sa fenêtre des tanks qui sor­tis des casernes pre­naient pos­ses­sion de la ville, Valence ayant été la seule ville à répon­dre à l’or­dre de soulève­ment militaire.

Barbès

Boule­vard Bar­bès, un Arabe vendeur de valis­es à un touriste japon­ais:
-Au nom de Jésus, je te fais un petit prix!

Enfants 3

Le train à l’ar­rêt en gare de Dijon, le père véri­fie les valis­es. Auguste cri­ant devant lui:
-Papa, on est où?
-…
-Papa, on est où?
-…
Mais papaa, on est oùù?
-A Dijon.
-A Dijon? Pourquoi on est à Dijon?

Enfants 2

Dans le TGV pour Lau­sanne, une père avec sa fille et son garçon, blonds, petits, vol­u­biles. Le petit déclenche le moteur d’un canard.
-Auguste, arrête, on est pas seuls dans le train!
-Pourquoi, les autres ils font dodo?