Je prends Gala à l’aéroport, courte sieste dans le van puis nous allons chercher auprès d’un viticulteur de Guernica la planche de surf achetée par petite annonce. En fin de journée nous arrivons sur la falaise de Elantxobe. Le bus de Bilbao nous précède à travers l’unique rue du village. Les passagers descendus, il avance sur une plateforme mécanisée. Elle tourne de 180°. Positionné en direction de Bilbao, le bus repart. Sous la plateforme, l’auberge Itsasmin Ostatua. Edifice trapu avec une devanture de pierre. Deux portes-fenêtres par étage. Au téléphone, j’ai demandé “une double pour Alejandro”. J’ouvre la porte et le patron dit: “bienvenue Alejandro!”. Visible cent mètres plus bas, le port endigué. Les immeubles sont blancs avec des toits rouges. Du logement ouvrier des années 1950. Quelques vieilles bâtisses à vérandas, la plupart abandonnées. Vivent là, accrochés au-dessus de la mer, deux centaines de Basques. Des jeunes chats jouent sous la pluie. A l’auberge, les installations datent des années franquistes. Certains meubles sont ceux-là de mon enfance à Madrid : horloge murale nacrée, vaisselier gitan, pots andalous. Le lendemain, la fille du patron sert le petit-déjeuner sous un collage de vieux billets en pesetas. Elle a cuisiné une omelette et un cake, le café est excellent. Je paie, je remercie et je salue. Arrivé à la voiture, je vois que j’ai oublié mon oreiller. Je toque. L’auberge est fermée, la famille a repris possession des lieux. Dans l’escalier je croise des enfants, une grand-mère, un bébé. Mon oreiller sous le bras, je regagne la voiture. Les voisins sortent de la messe. L’église est perchée au-dessus de l’auberge Itsasmin Ostatua, le mur de frappe du fronton appuie contre le transept.
Travaux 2
Le tuyau enjambe un ravin. Il est ficelé aux branches des sapins. Quand elle dévale, l’eau de pluie le fait danser mais ne l’emporte pas. Nous voici de l’autre côté du ravin. La pente est aiguë. Evola remue les feuilles mortes, je coupe les racines, il faut encore scier les arbustes à fruits et balancer les troncs pourris. Alors on peut avancer de quelques mètres. Pour recommencer. Peu après midi, nous atteignons la source. Le paysan a fondu un reste de mortier autour du tuyau. Le tuyau est scellé dans le bassin. C’est donc là que coule l’eau minérale que nous buvons. A tour de rôle tant l’eau est froide, nous nettoyons le bassin. Il peut y avoir plus de vingt ans que personne n’est revenu ici. S’il y a des balançoires sur le terrain de Piedralma, c’est que le paysan a fait ses chantiers quand ses filles étaient petites. Elles sont aujourd’hui adultes.
Travaux
Les dernières neiges alimentent l’Ara de leur eau; chaussé de bottes-pantalon, je traverse à petits pas attentif à ne pas trop décoller les pieds de la surface immergée du pont. Le van reste sur l’autre ber, je viendrai dormir là, dans la clairière. Sur le terrain, je travaille le potager. Je pioche un rectangle à légumes. D’abord, je me saisis de la herse. La terre est dure. Elle résiste. C’est à peine si les cinq dents de l’outil entament la couche. A genoux, j’essaie un trident. Je me relève, j’empoigne la pelle carrée. En fin de compte, c’est la pioche qu’il faut. Je soulève et j’abats. Je tire du manche, je dégage la motte et je la retourne. Je la scalpe. C’est épuisant. A demi-couché sur son parterre de courgettes, Evola nettoie les mauvaises herbes. Nous plaisantons. Ces ministres de France (jeunots élevés en écoles privées) qui expliquent la “rationalité économique” aux agriculteurs. Ils essuient de jets d’œufs. Rien que bon sens. Les pousses de salade plantées, armés de scie rondes, de sécateurs et de cisailles nous enfonçons dans la forêt, nous remontons vers la source, le long du tuyau que le paysan a déroulé contre la pente pour aller capter l’eau où elle sourd du rocher. Trois heures plus tard, vannés, nous rebroussons chemin. Nous sommes sur la terrasse, de la caravane nous fixons le terrain en silence les muscles durs.
Piedralma
Après une courte pérégrination chez les administrateurs de Puente (soit banque dite “digilosofía” c’est à dire analogico-terrestre-kleptocrate, sécurité sociale alentie et officine de poste épicière, tout trucs qui font suer), j’arrive dans la vallée. Route coupée. Elle est signalée interdite. Je déplace la barrière de la Garde Civile, roule sur le caillou, passe le morceau de voie effondré, déplace une autre barrière, vais seul. Travaux du jour, dégager la source d’eau potable. Le puits est en forêt à 200 mètres, mais pour l’atteindre il faut pénétrer dans la broussaille, scier et nettoyer. Ensuite, j’ai l’intention de labourer mon coin à patates. A six heures ce matin, il faisait encore orage. Le premier soleil ne résout pas mon problème: sur les berges de l’Ara l’herbe est tendre, elle patine, on s’y embourbe. Je laisse le van sur la route. Près de la rivière, dans une coupe sombre, je trouve des kayakistes français. Assis devant leurs camping-cars, ils étudient les débits. Je les rassure quant à mon uniforme militaire, nous discutons. La veille, disent-ils, le gorge était pleine, tout juste s’ils sont passés. Hectolitres à la seconde, syphons, coulée, j’y comprends que dalle. “Ah! Vous allez sur le pont?”. Inquiets, ils m’accompagnent. Je montre mes bottes. Ils ne sont pas convaincus. J’entre dans l’eau. D’abord sans les sacs (bière et outils), affaire de tester. Quelques mètres et je ne peux plus ressortir le pied de l’eau sans basculer. Le courant est trop fort. Comme je ne peux appeler Evola (zone blanche), je dois m’en retourner. Cent kilomètres roulés pour rien. Désœuvrés, les Français m’accompagnent. Arrêt du van, je déplace la première barrière. “Ah, on peut? Si la Garde Civile…”. “On peut, dis-je aux Français. Mais parler la langue, ça aide…”.