Vieillard hippie chaussé de sandales, soixante, septante ans, les cheveux maigres et longs qui dans le direct Lausanne-Yverdon déclare à la contrôleuse, une apprentie joufflue : “excuse-moi, je venu de Basel et fatigué j’endormi, je me réveillé après à Lausanne, maintenant je retour…”. La fille en uniforme écoute. Elle hésite. S’adresse au hippie en dialecte, lequel répond en dialecte. A la fin, j’entends le hippie qui trois fois répète à la gamine : “Vielen Dank!”
Jeu
Plus il y aura de perdants parmi les gens honnêtes (en d’autres temps, on aurait fait l’économie du qualificatif), plus le socialisme nouvelle façon trouvera des alliés. Abusés par le discours de leurs tuteurs de circonstance ces perdants, comme le furent au cours de l’histoire européenne tous les amateurs de récits politiques, participent au renforcement des oppresseurs véritables, les capitalistes nouvelle façon.
Repérages
Dimanche au CHUV, à photographier des cadres, des affiches, des bacs à papillons. Avec des malades et des infirmières, des gouttes-à-gouttes et des lits, à bord des ascenseurs de fer, dans les cafétérias ou les salles des urgences. A parking j’aide un patient en chaise, dans le centre médical universitaire l’ambulancier me félicite pour mon T‑shirt Fass 90: “belle arme!”. Monde étrange où l’on vient et dont on repart, c’est à dire naît et meurt. Les portes de l’existence. Faisant mon travail, je songeais à Gala — sans parage connu — le pacte était de s’aider à quitter la scène.
Famille
Aplo de retour des casernes de Thoune, grenadier de char, tenue kaki, belle démarche, et content. Ici, je répète ma surprise, me réjouis et formule une critique: force est de constater que la discipline intérieure que je pratique, cette discipline qui permet de mettre dans l’apparence autant d’anarchie que l’on souhaite, n’aura pas été un modèle suffisant. Les enfants construisent j’imagine d’après ce qu’ils voient, et ne peuvent accéder d’emblée aux rapports subtils (ajoutons que je n’ai jamais fait “le père”, je veux dire conditionné mes actes et pensées pour offrir un modèle). Dès lors, je me félicite. A être soumis aux règles et administré dans ses mouvements par une hiérarchie, mon fils semble découvrir les moyens de se mouvoir en société. Il m’embrasse, affectueusement me tape dans le dos, nous gravissons le Petit-Chêne et entrons à la brasserie du Palace de Lausanne. Là, il me tâte sur son projet : prendre du galon. Pour moi un cauchemar, mais qui me semble, vu ainsi, pour Aplo, la meilleure des idées. Passer du schéma subit aux responsabilités qu’implique de faire respecter le schéma aux autres est sans doute un exercice de caractère. Que je n’en ai jamais considéré l’utilité indique seulement que j’avais en ma possession — vraies ou fausses — les principes sur lesquelles j’envisageais fonder mon avenir. Le soir, après une promenade au Denantou et autant de discussions, Aplo rentre à Genève. Je retrouve mon père (qui vient de publier son autobiographie) et sa femme dans une pizzeria sous-gare : ils arrivent d’Allemagne en voiture, repartent demain à Budapest en avion.
Peinture
Au Musée d’art moderne de New-York, passé l’exposition calibrée des avant-gardes historiques et les productions contemporaines destinées au garde-meuble puis au feu, une série de toiles de Gerhardt Richter période noir-blanc et flou, selon mon plaisir rétinien et mon maigre jugement esthétique l’un des plus grands artistes de la fin du vingtième avec Anselm Kiefer.