Propriétaires

Les gens qui pos­sè­dent les jour­naux n’ap­pa­rais­sent pas dans les jour­naux. Ils y met­tent les autres qu’ils enfer­ment dans des arti­cles, mon­trent en pho­to et définis­sent et jugent. Ils utilisent ce qu’il pos­sè­dent, les journaux.

Budapest

Same­di quand tombe la lumière, autour du marché Lehel dans le dis­trict 13. Deux gardes en uni­formes, employés privés d’une entre­prise privée, patrouil­lent. Du bout du pied ils réveil­lent les clochards calfeu­trés dans les recoins extérieurs de la halle. Un pre­mier se lève, titube, s’en va. Un autre. Et un cou­ple. La place est nette. Non, il en reste un. Les gar­di­ens insis­tent. Le clochard se cou­vre la face, il veut rester, il veut dormir. Les gar­di­ens le brusquent, le soulèvent. Il retombe. Quelles sont ces forces obscures faites police, ce droit imbé­cile, cette insis­tance imbécile?

Feu

Tenir loin de sa mai­son, loin du foy­er, loin de l’en­tre­tien du feu per­son­nel toute société.

Mesure

Ren­due com­préhen­si­ble ou jugée incom­préhen­si­ble au terme d’un effort de rai­son, chose incom­prise qui nous per­suade de notre intelligence. 

Gumes 2

L’hon­nêteté est la con­sid­éra­tion de la nature de l’autre. La force de recon­naître ‑sans besoin de s’ac­corder- ce qui est autre. Cette hon­nêteté est le moteur de la civil­i­sa­tion. Elle informe fon­da­men­tale­ment les rap­ports dans la société, elle con­stru­it à tra­vers les temps l’é­tat hors-nature. Dif­fi­cile à ceux qui hon­orent cette hon­nêteté afin de défendre un con­trat social humain de se fig­ur­er après tant de siè­cles de ges­ta­tion et d’ef­forts que puis­sent ressur­gir en si grand nom­bre des indi­vidus bien nés qui se mon­trent par cal­cul mal­hon­nêtes, tricheurs, faux. Et qui moyen­nant l’im­por­ta­tion mas­sive et intéressée d’êtres sous-civil­isés, purs vecteurs de démo­li­tion, bradent notre héritage. 

Courage

Dans un monde où nul n’a le courage de l’ex­cuse il ne peut y avoir ni courage ni rai­son, ni courage en vue de raison.

Gumes

Ne jamais oubli­er: les crim­inels des sous-monde sont importés vers le con­ti­nent d’Eu­rope par des acteurs de pou­voir peu con­fi­ants dans leur capac­ités réelles. Détru­ire les moyens cri­tiques des sociétés de civil­i­sa­tion en y intro­duisant des bêtes et de la bêtise rend l’ig­no­ble tâche de con­trôle plus aisée.

Voyage

Au-dessus des oliv­eraies de Jaen, à Despañaper­ros. Des collines, encore des collines. Des collines piquées d’o­livi­er tous iden­tiques. Le van face cré­pus­cule. Agréable chaleur. Sur l’aire de sta­tion­nement par­fait silence, grands pins, ombre tamisée. Une bouteille de Valde­peñas. Une aveu­gle passe avec un chien. Aux infor­ma­tions, des images de neige en Navarre.

Mines

Garé le van au camp­ing d’Alia­ga, der­rière une chapelle romane. Pour attein­dre la récep­tion, il faut rouler sur un pont médié­val ou plonger dans la riv­ière. Le défilé qui con­duit au vil­lage minier est flan­qué de cen­taines de coro­ns. Je monte la capote d’hiv­er sur le toit ouvrant, fais mon lit en haut, Gala dormi­ra en bas. Il y a un bar. En Espagne authen­tique, il ressem­ble à une salle de bains. Car­relage blanc, comp­toir de fer, bac à glaces et poêle à pel­lets. Pour­ra-ton manger ce soir? Oui, mais seule­ment si vous venez à 20h30 pré­cis­es. C’est que la dame attend cent per­son­nes. Au vu du local, du silence, de l’isole­ment, astronomique ce chiffre! Une torche à la main, nous nous ren­dons au bar à l’heure dite. Porte fer­mée. A neuf heures moins le quart, moins dix puis neuf heures: porte fer­mée. Scep­tique, je fais à Gala: “elle t’a bien dit pour ce soir? Après tout c’est dimanche… ” A 21h20, une dizaine de clients atten­dent dans le noir. Nous bavar­dons. Le clients ne savent pas. Ils ont réservé. Ils font: cent cou­verts? Ce soir? Oui, c’est posi­ble. Soudain, bruit de moteur. Une jeep tra­verse la riv­ière. La patron et sa dame saut­ent à terre. Ils salu­ent. Ils ouvrent le bar, sor­tent du vin, des sauciss­es… Bien­tôt cent per­son­nes com­man­dent, chahutent, chantent et rient.

Oliete

Apéri­tif d’an­chois, d’o­lives et de vin dans une sta­tion-ser­vice de Bel­chite, le vil­lage “musée de guerre” voulu par Fran­co. Ensuite route à tra­vers les déserts de Teru­el. Nous atteignons l’après-midi le vil­lage de Muniesa. Posé sur un roc, entouré de cirques, ses maisons pointent vers le ciel. La dernière, celle de Dieu, touche aux nuages. En pente, les rues sont qua­si imprat­i­ca­bles. Elles tombent comme les robes-cloches des dames de cour. En aval dans une herbe translu­cide, le rio Reguera Granje­ta. C’est dimanche. Les familles digèrent au soleil, des enfant motards font des acro­baties sur la route de tra­verse. J’en arrête un. Au moment de deman­der ma direc­tion, je vois que je ne sais pas dire “gouf­fre” ni même trou (quand il n’est pas au pan­talon). “Peux-tu m’indi­quer la grotte effon­drée?”. Car l’ingénieur en mines Loren­zo, mon voisin d’A­grabuey, comme j’ex­pli­quais notre inten­tion de vis­iter la “trou” d’Oli­ete a pré­cisé : il s’ag­it d’une voûte de grotte qui s’est effon­drée”. Le gosse motard ne sait pas. Depuis un patio, son par­ent crie : “la Sima de San Pedro hijo!”. Nous l’at­teignons quelques min­utes plus tard, elle est au fond d’une val­lée qui sent le porc d’él­e­vage. Entre temps la route est dev­enue chemin, le chemin tracé, el tracé dif­fi­cile. Gala recom­mande de finir à pied. Elle attendrait près des éle­vages. Je gravis par le ter­rain. Trois lacets et le “trou” est là. Cent mètres de bouche. Autant de pro­fondeur. Ou plus? Je marche sur les lèvres, passe la tête au-dessus de la clô­ture. Les façades intérieures que lisse la lumière sont ocres et rouges. Une famille m’a précédé sur le sen­tier de ronde. Elle marche en sens inverse des aigu­illes de la mon­tre. Nous nous croi­sons. Au point d’échan­crure, une nacelle per­met de s’a­vancer au-dessus du vide. Elle est inter­dite. J’en­jambe la clô­ture. Fais quelques pas. N’ose pas aller plus loin. Des oiseaux piail­lent dans le ciel. “C’est pro­fond?” demande Gala quand je la retrou­ve dans le van (por­tières clos­es pour lim­iter la puan­teur des porcs). Je ne sais pas. Pas exacte­ment. “Très pro­fond…”, je dis. Et gouf­fre se traduit “sima”.