Savoir

 Mort, mort, mort! Prix de la vie. 

Dissonnance

Rich­es héri­tiers de l’Es­pagne, ces Arag­o­nais sont portés au spec­ta­cle de la parole. Auquel ne saurait échap­per aucun régime pos­si­ble, pas même celui du con­trat. Les arti­sans, les ouvri­ers, sans le savoir, illus­trent en l’oc­cur­rence ce car­ac­tère “très peu catholique” qui per­met des arrange­ments con­ti­nus avec le réel. Avec la plus grande fer­meté, Untel annonce son ser­vice, donne un prix, une date. Con­firme deux fois sa venue, répète l’heure. Puis vient quand il veut, sans out­ils ni matériel, en chan­son, ravi de vous trou­ver à domi­cile alors qu’il n’a pas aver­ti. Fait un tour, l’air con­tent. Enfin vous assure en toute bonne foi que le tra­vail sera fait en heure et date, lesquels sont déjà passés.

Ordo

“Pourquoi les gens ne font-ils pas ce qu’on leur dit de faire?”. La ques­tion est partout. Et d’abord, retra­vail­lée par les jour­nal­istes qui traduisent en bons féaux les pro­pos des poten­tats du moment, dans les médias. Or, la ques­tion est: “pourquoi les gens font-ils ce qu’on leur dit?”.  Sans remon­ter à Locke et Hobbes, donc au fonde­ment moral du con­sen­te­ment poli­tique — sim­ple effet de con­stat donc — force est d’ad­met­tre que la majorité des injonc­tions, afin de soulign­er que je ne pointe pas seule­ment les mesures d’ur­gence pris­es à la faveur de la crise mais encore les lois, sépar­ent à un tel degré l’in­di­vidu de lui-même, neu­tralisent si bien son vœu, qu’il faut être aujour­d’hui masochiste pour juger que faire selon le dire aide à se sor­tir du marasme.

Moyen génie

Quand je pense à Elon Musk, je pense ado­les­cence et sché­ma de Ponzi. Il annonce que l’on peut faire rouler des voitures élec­triques à la vitesse voulue et le fait. Répète cela avec les camions. Théorise une réor­gan­i­sa­tion des flux urbain (les fameux tubes). Lance des satel­lites en hordes. Le rêve est com­mencé, les investis­seurs se ruent. Puis le génie clame qu’il va con­quérir Mars: les financiers exul­tent. En déliques­cence, l’é­tat lui con­fie des tâch­es majeures. Les entre­pris­es Musk essuient les pre­miers échecs? Le génie en rajoute: “tel est le prix de l’au­dace!”. Ain­si vont le fan­tasme améri­cain et le délire matéri­al­iste, croy­ance sim­ple, bêtise, super­sti­tion — je ne fais pas juge­ment de l’his­toire de la tech­nolo­gie, mais des lim­ites atteintes dans la finan­cia­ri­sa­tion des ambitieux. Et prends le pari: ce génie, Elon Musk, un jour dis­paraî­tra sans laiss­er de traces.

Atomes

Ce que mon­tre cette affaire générale, ce mal­heur grandiose qui s’a­bat sur nos sociétés, lesquelles allaient d’un train ron­flant et ne doutaient pas de la tra­jec­toire, c’est qu’il n’y a aucun sens à sur­vivre pour sur­vivre, et moins encore dans la ver­sion hol­ly­woo­d­i­enne du “loup soli­taire”. C’est vivre qu’il faut. Bouil­lir, remuer, refroidir, être et n’être pas dans son assi­ette, se laiss­er propulser et ralen­tir, être mené, ne pas être mal­mené. Cela n’est pos­si­ble qu’au sein d’une com­mu­nauté et c’est exacte­ment ce que la tech­nolo­gie tente de liquider.

Petit maître

Mal­ha­bile, il prou­vait sa maîtrise en annonçant fein­dre l’ab­sence de maîtrise.

Rires

Rires dans la mai­son d’à-côté. Que j’en­tends. Ecoute. Dont je pense, “bien, c’est bien”, con­va­in­cu que cela apporte.

Consommation

Voilà un demi-siè­cle que l’on dit et répète, la lib­erté, c’est la lib­erté de con­som­mer. Soudain, on s’en­tend dire, “vous allez de tout per­dre”. Mais, ajoutent aus­sitôt les prophètes de la société, “noua allons faire en sorte de lim­iter la casse”. Cha­cun enfonce les mains dans les poches, se ras­sure quand à la valeur de la croy­ance et attend le miracle. 

Energie

Si je me suis aperçu que j’é­tais jeune, c’est à trente-cinq ans. Aupar­a­vant, j’é­tais trop occupé des dif­fi­cultés de l’ex­is­tence. Le sen­ti­ment que l’én­ergie du corps per­me­t­tait toutes les ambi­tions de l’e­sprit est apparu  alors, quand la plu­part des amis s’é­taient défaits par com­bus­tion, force naturelle, sauvagerie de cette énergie qui est la jeunesse. Avec le début de recul que per­met l’au­jour­d’hui, je trou­ve la nature bien faite: si l’én­ergie du corps mon­tait à l’e­sprit tra­vail­lé — autour de 40 ans — avec l’ef­fer­ves­cence de la jeunesse, nous auri­ons un monde entière­ment insta­ble, tirant par le jeu des exci­ta­tions à la fois vers le par­adis et vers l’enfer.

Sacre

D’abord éton­né, aujour­d’hui dépité, à preuve j’y reviens trois ans après les faits, par le peu d’in­térêt, l’in­com­préhen­sion, presque la moquerie que m’op­posa cette femme que j’emmenais en toute con­fi­ance au fond du petit gouf­fre de Neva­do pour lui deman­der opin­ion et faire choix de trois vieilles pier­res d’hu­man­ité cachées entre dix mille autres afin de les ramen­er  dans la mai­son, les séch­er au feu, les garder et les regarder tels des objets, parce qu’au terme de leur course galax­i­ale ils avaient franchi mon seuil, à révérer.