Le village est de glace. Rues lissées par le gel, pavés luisants, toits blanchis. Les visiteurs de Saragosse sont repartis. Fin de la fête. An neuf. Silence profond. La route est fermée: depuis vendredi le chasse-neige ne déblaie plus le col. Au sortir de la nuit, je me maintiens entre les draps, retardant mon lever — midi. Déjeune, puis retourne à mon roman picaresque. Merveilles des équilibres naturels, en ce début d’après-midi, alors que je tire une chaise de teck sur la pelouse enneigée pour profiter du soleil pendant l’écriture, l’oiseau à poitrine orange pique le pain émietté devant mon pied. Je siffle, il répond. Il siffle, je réponds. Sauf quand j’avance un chapitre tortueux. Car il faut alors un tantinet de concentration.
Asia
Cette année nouvelle, cela fera trente-huit ans que je me rendais pour la première fois en Asie du Sud-est. Avant d’y voyager une fois, deux fois par an. Cette nuit, je rêvais d’une terrasse de bistrot à Battambang-Cambodge. Penché sur mon cahier d’écriture, suant sous le ventilateur, occupé à gratter le papier à l’aide d’un mauvais stylo, je suis dérangé par des routards descendus d’une camionnette de “sightseeing”. Ils s’installent à ma table, lorgnent sur mon travail. Attendent. Attendent encore. Puis remarquent: “lui aussi est en orange, il est de nôtres! Tu es de quelle secte? Puna?”. Calme, décidé, j’arrête l’écriture, me rengorge: “si je suis en orange, c’est par hasard, je n’ai rien à vous dire. D’ailleurs je n’ai rien à dire à personne, c’est pourquoi j’écris.” Et ceux-ci de répondre : “Nous devons changer de l’argent.” Alors, moi: “je sais où aller, ne vous faites pas avoir, je vous emmène!”. Puis me levant, je vois l’état de la rue, d’habitude multitudinaire (celle du marché, au centre de Battambang), devant moi déserte et pense: l’Asie est foutue!
Demi-rêve
Douze heures qu’il neige. Sur la table du jardin, la couche atteint le mètre. Mon oiseau est au rendez-vous. Levé à sept heures, j’émiette du pain, allume le feu, prépare du café. Après le petit-déjeuner, je me rendors. On m’attend pour une lecture. La libraire indique une table et sa chaise. Je demande: “Vous vendez bien ces jours?” Elle évoque un titre à succès dont je n’ai pas entendu parler. A part moi, je pense “pas de la littérature!”. Pour dire quelque chose, je m’efforce de citer deux textes récents: “euh.. attendez… c’est …”. Oubliés. Se présentent alors Philippe Boiret, Jean Rochebort et Michel Nicolli. Ils viennent tourner un film. En attendant, disent-ils, “nous montons prendre nos chambres”. Tiré de ce rêve, à demi-éveillé, j’entreprends d’imiter Louis-de-Funès. Scène typique, il s’agite, vocifère, s’exclame, minaude. “Louis, déclare le réalisateur hors-champ, il suffit de lui dire le rôle et il vous l’improvise, pas besoin de texte!”