A nouveau dans le sous-marin, ma maison: de nuit les radiateurs respirent, avalent et sifflent- j’ai l’habitude, désormais je suis démuni: j’ai tout essayé, purge, vidange, négociation. Or, hier entre deux sommeils, comme j’écoute, je n’en reviens pas: mes radiateurs parlent! Je tends l’oreille. Pas jusqu’à saisir ce qui se dit, mais enfin, cela m’a l’air humain. J’éclaire la pièce: suite au changement d’heure mon radio-réveil s’est enclenché, il retransmet en sourdine un débat.
Commerce
A ce jour, plus aucun doute, l’importation massive d’individus des tiers-mondes reconditionnés sous la férule occidentale était bien destinée à gangrener la capacité critique des populations. Le résultat est frappant : peu enclins à réussir le dépassement du stade matériel, nous sommes désormais certains d’être reconduits au double primitivisme de la violence et du culte.
An 2 (IV)
Imaginez, la nuit a été bonne, l’humeur est excellente, vous vient l’envie de plaisanter. Au voisin, vous proposez de boucler le quartier et d’imposer aux habitants le port d’un nez-boule, celui des clowns. Si tout se passe bien, le voisin répond: “tu as bu?”. Mais si les choses se passent mal? Si la plaisanterie transforme le réel?
Bois
Passé quatre heures à vernir les planches de la bibliothèque que vient d’achever Jésus; ouvrier et solitaire, ce type est humble, mais il est surtout artiste, soit un homme qui aime le métier et s’intéresse plus à votre approbation qu’à votre porte-monnaie. Honorant ces dispositions favorables, je fais courir mon pinceau avec maîtrise, avant de constater avec dépit que le produit, une couche à l’eau, laisse si peu de traces que je doute si j’ai bien verni là où je viens de vernir .
An 2 (III)
Attaque inédite contre les corps. Mouvement et devenir interdits. Sexualité reprogrammée. Esprits noyés dans une chair à l’arrêt, qui durcit (elle est à l’arrêt). Comment faire pour transformer chaque individu en une prison? Actualité de la réponse. Mais aussi, c’est de notre faute: longtemps que nous avions cessé de vivre. C’est à dire? De travailler, de se risquer, de baiser, de manger, de conquérir et de succomber. D’être.
Sortie
Grande et longue, et lumineuse sortie à vélo par les petites Alpes pyrénéennes ce dimanche, précédé de gaillards qui n’hésitent pas à faire deux cent kilomètres en voiture depuis Saragosse pour s’aligner avant dispersion de la nuit sur la ligne de départ, devant l’église d’Agrabuey. Un médicament m’a fait dormir tel un loir. Puis j’ai tourné, avant de décoller, pour chauffer les jambes, le plateau de fonte du vélo statique. Le groupe s’élance. Très vite, je suis dernier. Tiens la distance. Soixante de kilomètres et cinq cols. L’humeur l’emporte: désinvolte, salace, amicale, je-m’en-foutre — rien de mieux qu’une modestie quand elle règne sur l’effort et y contribue. Quatre heures plus tard, nous avons doublé des vaches perdues sur des routes de gravier (le gel de février à défoncé les bitumes), bu aux fontaines des villages, pris un café dans une bergerie, plaisanté, sué et souffert (un peu). Aussitôt de retour dans Agrabuey, le voisin, l’avocat, met à rôtir des poulets.
Oeuvre noire
La prière est la reconnaissance de ce qui est. Un désespoir et une force. Devant ce monde qui tombe, la présence affirmée des forces vitales. Le refus des outils qui blessent la majesté humaine, l’unique. Ceci n’est pas religieux — sauf à considérer que tout l’est. Or, c’est sans doute la négation du principe religieux dans l’homme qui conduit ces jours quelques égarés à reconditionner avec un tel mépris, une telle lâcheté et pareille faiblesse opérante l’homme occidental.
An 2 (II)
Réorienter le société moyennant l’invective, la dénonciation, l’analyse ou l’opinion (ce que “nous” venons d’essayer de faire pendant le mois écoulé) n’a aucun sens; non que ces moyens soient insensés, mais parce que la société n’existe plus. Le travail de sape industriel a fait son effet: ne subsistent que des agglomérats d’individus rompus aux routines du marché et des indices techniques de correction. Les partis ne font pas de la politique, ils détournent l’attention; le pouvoir ne représente pas, il veille sur la machine. Dans ces conditions, la liberté de l’individu est illusoire, la démocratie impossible.