Aéroports fermés

Ce qui me manque le plus, le désor­dre. Il m’est d’un grand sec­ours car je suis ordré. J’ai la tête ordrée — ce que j’es­saie de faire enten­dre. De fait, le sen­ti­ment de désor­dre n’est jamais que l’in­ca­pac­ité à traiter une infor­ma­tion à la vitesse req­uise. C’est d’ailleurs l’o­rig­ine de l’ex­o­tisme. Dans les agences de voy­age, on appelle cela le “dépayse­ment”. Rien ne m’in­sup­porte plus que la den­sité des corps dans notre pays la Suisse, à quoi j’a­joute sa pré­ten­due diver­sité — terme de lab­o­ra­toire, une con­ner­ie. Si on peut le dire “de lab­o­ra­toire (sans rap­port en réel)”, c’est bien parce qu’il n’y a plus en Suisse, hélas, aucun désor­dre vital, mais une struc­ture indus­trielle-légale de corps d’im­por­ta­tion qui sig­nent leur orig­i­nal­ité par des cos­tumes et des couleurs de chair.

Microcosmos

Au jardin, un coup de vent et chavire mon paquet de cac­a­houètes. Ce que je peux, je ramasse. Le reste est sur la pierre, mais je rassem­ble, fais un tas. Aus­sitôt de retour dans ma chaise atter­rit une guêpe. Curieuse, elle fait le tour d’une cac­a­houète. J’ob­serve la danse. Vois que la fève a la taille de son corps. Que cela revient à con­tourn­er un rocher. Elle y goûte. S’é­carte. Et net­toie ses antennes dont je devine qu’elles sont agacées par le sel.

Mein Reset

Pour les con­struc­tions théoriques d’Han­nah Arendt, écrivain que j’ap­pré­cie pour sa biogra­phie mais aus­si, mais encore — c’est le sujet — pour son Orig­ines du Total­i­tarisme, je n’ai aucune sym­pa­thie lorsqu’elle pré­tend racheter un fonc­tion­naire naz­i­fi­ant qui admin­istre le régime de la ter­reur sous ordres (Procès Eich­mann). Ici, je suis Sar­trien, et rad­i­cale­ment. La remar­que, un pon­cif, peut sem­bler anachronique ou inutile. Elle est de la plus grande actu­al­ité. La sit­u­a­tion décrite par la philosophe juive est de recours face aux inféo­da­tions indi­vidu­elles des per­son­nes en poste dans nos gou­verne­ments. Nos élus (pour moi, je n’ai jamais voté — anar­chie) qui enten­dent ces jours des sirènes ont la même con­stance que nos anci­ennes girou­ettes de métal blanc. Ils “par­ticipent”. Changent de posi­tion. En fonc­tion? Des vents. Il va de soi, fort maîtrisés. Organ­isés? Est-ce le devoir d’un élu qui accepte de représen­ter la pop­u­la­tion que de par­ticiper, de chang­er, de dire tout et son con­traire? Il a un devoir. Décider. Aupar­a­vant pro­pos­er, surtout lorsque le sujet est con­fus et apeu­rant — il l’est. Dans un avenir proche, comme le jus­ti­fie Han­nah Arendt dans Le procès Eich­mann, excuserons-nous des indi­vidus qui par respect d’une hiérar­chie sym­bol­ique, inter­na­tionale, auto-pro­mue (elle est tout sauf mil­i­taire ces jours, cela se ver­rait) ont sac­ri­fié notre lib­erté, la civil­i­sa­tion, bref la vie? En la cir­con­stance, Sartre est plus con­sis­tant, cela mal­gré l’habituel roman­tisme d’ap­pa­rat: “libre” dit par exem­ple le romanci­er dans Le Mur, “on l’est aus­si longtemps que l’on pense et agit en conscience”.

An 2 (IX)

Si, tout bon­nement, cha­cun jugeait dans son for intérieur com­mode de s’en remet­tre au gou­verne­ment, de croire que le gou­verne­ment sait, de se con­va­in­cre qu’il sait, pour cela de faire taire ses objec­tions et de refuser d’en­ten­dre celle des autres? Se pose alors la ques­tion: peut-on ne pas croire puisque rien n’est vis­i­ble? Où sont les morts, les asphyx­iés, les tombants, les cer­cueils, les enter­rés, les réan­imés? Pas sous nos yeux. Il ne reste qu’à croire. Piège impec­ca­ble — si c’en est un.

Race

Chi­nois d’Es­pagne, livides comme des Chi­nois, for­mant des familles innom­brables et sans âge, ne sachant sourire, ne plaisan­tant pas (avec la vie) et qui tout le jour, peut-être la nuit, débal­lent des pro­duits arrivés de Chine, les rangent sur l’é­ta­lage, comptent et recomptent leurs sous.

Vyandes

Regard de cet homme qui mange. Dit à sa femme comme il est bon de manger. Remer­cie le serveur, fait appel­er le patron, lui déclare son plaisir. Il s’en va et déjà par­le du prochain repas.

Lecture

Choses que j’ai envie de lire, com­mence de lire, ne lis pas, soit que je les sais soit qu’elles me sont trop com­préhen­si­bles (proches de mon car­ac­tère) soit encore qu’elles me gênent: je m’é­tonne aujour­d’hui du nom­bre d’aveux, opin­ions, fran­chis­es, descrip­tions que je n’ai aucune envie d’en­ten­dre ni surtout de retenir tant elles éclairent notre human­ité d’un jour peu flat­teur — mai peut-être en fut-il tou­jours ainsi.

An 2 (VIII)

Le Prési­dent français, homme de théâtre chevron­né est “telle­ment intel­li­gent” qu’il  est devenu “épidémi­ol­o­giste” en quelques mois et s’af­fronte aux plus grands experts du domaine — écrit la presse d’E­tat. Cela rap­pelle les Oeu­vres com­plètes de Kim-Il-Sung, ce cerveau encyclopédique.

An 2 (VII)

Arme absolue des pou­voirs: vous per­suad­er que vous retrou­verez votre vie.

Chaudière

A nou­veau dans le sous-marin, ma mai­son: de nuit les radi­a­teurs respirent, ava­lent et sif­flent- j’ai l’habi­tude, désor­mais je suis dému­ni: j’ai tout essayé, purge, vidan­ge, négo­ci­a­tion. Or, hier entre deux som­meils, comme j’é­coute, je n’en reviens pas: mes radi­a­teurs par­lent! Je tends l’or­eille. Pas jusqu’à saisir ce qui se dit, mais enfin, cela m’a l’air humain. J’é­claire la pièce: suite au change­ment d’heure mon radio-réveil s’est enclenché, il retrans­met en sour­dine un débat.