Cette génération de demi-pionniers de l’abstrait géométrique réunis autour de l’architecte Max Bill (à commencer par Verena Lowensberg) a réussi je ne sais par quel tour de passe-passe façon Duchamp à embrigader les jeunes crédules des écoles d’art suisses qui se mirent dès lors à confondre élaboration rationnelle, couleur pur et forme mathématique (rond, carré, ligne) au point de nier tout art de recherche usant librement des figures. Non seulement ils se condamnaient par là à un triste anachronisme en répétant les inventions iconoclastes des aînés, mais ils se livraient pieds et poings aux milieux d’affaire trop heureux de favoriser l’illustration au dépend de la subversion (ce dont témoigna dans les années 1990 mon amie peintre L.P. qui s’exclama: “je ne peindrai plus, toutes mes toiles finissent sur les cimaises des banques!” — à ma connaissance, elle tint parole). Ce suivisme (voir les idiots volontaristes de BMPT…) a produit les émules actuels des néo-géo; ces derniers ont si bien effacé de leur esprit tout notion d’art travaillé (plutôt que pensé) qu’ils croient dur comme fer à l’universalité de leurs principes, ce qui leur vaut désormais de manipuler les mots dans la phrase et les phrases dans le texte tels des objets que l’on saisirait sur le modèle de la pièce Lego avec pour conséquence deux effets secondaires: ils colonisent par leurs textes remplacistes une littérature qui est déjà bien en peine de de défendre la valeur esprit devant l’offensive industrielle des images (et qui ne saurait, sinon par volonté d’auto-légitimation, être comparée au matérialisme du Nouveau roman dont les membres émérites avaient une culture et un don musical certains, que l’on songe ici au Degrés de Butor ou au Miroir qui revient d’Alain Robbe-Grillet) et jouent mutatis-mutandis envers les héritiers le rôle que jouèrent pour eux, en leur époque, les demi-pionniers de l’abstrait géométrique.
Langages
Depuis quelques jours, je songe à recommencer l’étude du latin. Ce ne serait que la quatrième fois. Au collège Saint-Michel d’abord (souvenir, mais uniquement du professeur, un érudit au caractère doux); à l’université ensuite (comment ai-je réussi l’examen?); sur la côte marocaine enfin, à Taghazout où je louais une maison à l’automne 1994 — chaque matin je montais sur le toit et deux heures de suite je repassais ma leçon. Désormais, grâce à une connaissance autrement approfondie du régime de la phrase française, je veux croire que je progresserai plus vite. Je veux aussi, dès la semaine prochaine, enregistrer des maquettes pour les futurs titres de l’album que nous avons prévu de composer (à l’aide de machines) avec Monfrère, mais ici j’ai un avantage: ignorant je suis, ignorant je demeurerai — condition des plus favorables pour faire du rock extrême.
Gastronomie
Drôle de pays que l’Espagne — un voisin de soixante-dix-huit ans, autrefois professeur d’école, me dit sur le ton de la confidence: “sais-tu comment faire de la limonade? Je vais t’expliquer… Voilà ce que j’ai découvert. Tu verses deux cuillérées de sucre au fond d’un verre puis tu presses le jus d’un citron. En dernier seulement, tu ajoutes l’eau. Cela change tout! Le jus sur le sucre, pour qu’il fonde, puis l’eau… Un délice! Attention, ça ne marche que comme ça! Il ne peut exister de meilleure recette!”. Un autre à le propos plus impressionnant. Au sujet de la cuisinière de notre bar (que je n’ai jamais vue cuisiner), il me dit: “elle fait les meilleurs œufs au plat que j’aie jamais mangés!”