Devant les obstacles techniques au voyage, je prévois depuis des mois de repartir à vélo. Je pensais à l’est, (républiques baltes, Russie, Ukraine), mais un juge espagnol me cite à comparaître fin septembre, il fera alors trop froid pour dormir dehors. Désormais, j’étudie des cartes de l’Amérique du Sud ainsi qu’un nouveau vélo polyvalent : trente-deux kilos sur le vieux Villiger modèle armée suisse comme l’automne dernier, c’est excessif. Première phase vers Noël: discussion avec un ami aficionado; ensuite, recherches des marques; puis des systèmes de portage; enfin, choix du groupe de transmission (performants ils sont de plus en plus difficiles à réparer), du matériau du cadre (je mise sur l’acier, la mode est au carbone), du freinage (presque impossible de sortir du frein à disques hydraulique sur un modèle de série). En fin de course, je retiens cinq modèles. Tous en rupture de stock. J’appelle en France, en Suisse, aux Etats-Unis: la pénurie est mondiale. Le processus est à recommencer — je recommence, cherche en fonction de la disponibilité (certaines marques ne livrent qu’à six mois) et de la distribution (rayon de 100 kilomètres). La semaine dernière, je me rends dans une boutique et fièrement je déploie le dessin format A2 du montage souhaité. Réponse du vendeur après un haussement d’épaules: “je ne sais pas si je saurai… Oui, peut-être. Et ça, qu’est-ce que c’est?”. Il ajoute: “de toute manière, je ne peux rien commander avant octobre, et encore!” Là-dessus, il désigne un modèle: “voilà, il me reste celui-là.” De ce magasin — le plus connu de la ville — je ressors dégoûté. Reprends mes recherches sur internet. M’inscris auprès des systèmes d’alerte de Felt, Orbea, Rose et Canyon. Le temps passe, je retourne en ville, discute avec un autre concessionnaire. Constat: il n’a aucun vélo neuf. “Même réparer je ne peux pas, me dit-il, on ne m’envoie plus les pièces.” Quoi? Comment? Je ne comprends pas. Qui a intérêt à détruire ainsi des réseaux de production-distribution huilés comme de bonnes mécaniques? A détrôner de modestes indépendants? Car on pourrait, en extrapolant dans les limites de la raison, dire la même chose de la nourriture (restaurants familiaux, locaux, ouvriers, étoilés), des cinémas et des clubs, des boutiques d’habits, des concessionnaires automobiles… Est-ce que toutes ces positions commerciales sont mises volontairement à l’arrêt avant que d’être liquidées puis captées par les nouveaux circuits des monopoles digitalisés? De fait, pour revenir à mon projet d’achat (il faut que je roule le vélo au moins 500 kilomètres avant de prendre la route en Amérique), j’ai abandonné tout idée de démarche locale et j’ai placé des commandes en ligne — désarmant un peu plus ces vendeurs qui haussent les épaules lorsque vous annoncez un projet d’achat à plusieurs milliers de francs.