Lissé au stuc les bas de parois mangés par l’humidité. Auparavant, j’avais dégagé à la spatule le plâtre creusant sans mesure la vieille farine; bien mal m’en a pris, car enlever est plus facile qu’ajouter. Trois heures à parfaire les mélanges et tartiner. J’avoue, il s’agissait d’abord de trouver une bonne excuse pour ne pas reprendre les corrections de Sosiété. Pourquoi? Je l’ignore. Rigoureux, j’ai tout de même passé une heure à remodeler le texte avec, il faut le dire, de bons résultats. Toujours impressionné de voir combien évolue la phrase pendant le travail de réécriture. Et aussi, il pleut. J’allume deux poêles, je refroidis mes bières, à l’heure des apéritifs, quatorze heures et vingt et une heures, je sors sur mon pas de porte, bavarde avec le paysan et le guide. Ensemble nous regardons le ciel, nous constatons: il pleut. La journée finit, je cuisine une morue aux lentilles, ouvre une bouteille de Somontano, met à l’écran un combat de la ligue Bellator quand j’apprends par le maire — déjà dit — que le périmètre de sécurité nouveau restreint encore nos droits de mouvement, mais, c’est important de le noter, progrès de la terreur oblige, cette fois il n’est même plus allégué de raison à cette décision de police.
Honte (4)
En avril dernier, soit début 2020 — il faut mentionner les hommes d’honneur — l’écrivain Daniel de Roulet, invité à participer en ligne aux Journées de Soleure refusait et accompagnait son refus d’une lettre ouverte aux autorités faisant état de l’impossibilité pour la culture d’exister sans un débat des vivants (ce sont mes mots, pas les siens). Immédiatement, je le félicitais de cette prise de position. Peu après, nous dînions à Lausanne. Nos différents (j’ai en horreur le néo-marxisme) ne m’empêchent pas d’admirer quelqu’un qui passe sans ambages, tandis que tous se tâtent et protègent leurs arrières, de l’opinion à l’acte.
Identité
Lieux sans identité, ternes, blanchâtres, où travaille un personnel de rechange. Une route y mène, une autre en part. Vous arrivez par cette route et vous n’êtes personne. Au bar de ce lieu, près de la réception, il y a d’autres personnes, elles ne sont personne. C’est agréable. S’installer, demeurer là, vaut peut-être mieux que de repartir. Mais il existe d’autres lieux sans identité et pour demeure longtemps dans identité, il faut les rejoindre.
Barros
Sentiment de tristesse, dans la “calle Mayor” de Puente tout à l’heure à constater que l’épicerie Barros avait fermé. D’abord j’ai pensé — cela me ressemble: “les salauds, ils ont aussi eu raison de ce commerce!”. Mais non, la pancarte écrite à la main annonçait: ” fermé pour cause de retraite”. Triste car c’était par son agencement, son ambiance, ses propriétaires également vendeurs, l’une des ces épiceries à l’ancienne telle qu’elles existent encore en des lieux reculés de la campagne et ont disparu de nos paysages suisses sauf peut-être dans les montagnes secrètes des grisons ou du valais, soit une boutique où le père passe des fromages à la boucherie sans changer le tablier, la femme conseille sur les produits et la fille tient la caisse et compte les sous. Avec ça des miels et des saucisses et des pains achetés aux artisans, des boîtes-conserve de fabriques installées dans les années 1950, des piles de morue de Cascais et d’Aveiro, des blocs de Turrón au moment de Noël. Je n’aime pas voir disparaître ce qui est humain, surtout quand ce qui vient porte le masque de la sympathie afin de mieux cacher le cynisme de l’industrie.
Monter
De la pluie, encore, je crois parler d’un autre pays, détaché du continent latin, perdu aux septentrions. Sorti sur le seuil, une bière à la main, je regarde tomber. Puis j’en ai assez, je m’équipe, pose sur le pavé le vélo jaune nucléaire (sa couleur listée), pédale et grimpe. Agrabuey gisant au fond d’un trou, qui veut s’échapper grimpe. Pente courte mais raide. Par sections, du vingt pour cent. Je suis sorti de pénates à la bonne heure, celle de la méditation, les autres mangent, il est 15 heures. Au col qui est tout proche, 1,8 km, je bascule côté vallée. Remonte dans l’autre sens, bascule côté village et recommence. En moins d’une heure, huit cent mètres, rien que de la pente: La Suisse en Espagne. Arrivé au bout de la petite excursion, j’ouvre une autre bière et me trouve fort bien car j’ai l’idée d’un défi, juste là, derrière les murs de la maison du Quartier des Champs — faire non pas deux aller-retours, mais cinq, à terme dix.