An 2 (XXVIII)

Fatigué qu’on lui en demande tant et plus, le peu­ple vota la dic­tature (juin 2021). 

Sympathie

En France hier par le col de Som­port. Sta­tions de ski fan­tômes sur le ver­sant espag­nol, café panoramique fer­mé au pas­sage de fron­tière, longue descente à tra­vers les pacages et les forêts sèch­es. J’at­teins alors l’en­trée du tun­nel où sont postés les gen­darmes. Je fais signe, ils répon­dent. Je fais signe que je veux leur par­ler, ils coulis­sent la porte latérale du four­gon. Non, dis­ent-ils, mer­cre­di ce sera une autre équipe. Bien — mais je voudrais savoir si j’au­rai besoin d’un test (ne voulant pas faire ce que je ne veux pas faire, force est d’an­ticiper). Un cer­ti­fi­cat de tra­vail suf­fi­ra, répon­dent-ils, après quoi nous par­lons vélo. Le plus jeune est mon­té ce matin sur le col. Pour faire de la con­ver­sa­tion, je com­pare le ver­sant français au ver­sant espag­nol. “Je ne suis jamais allé de l’autre côté”, avoue-t-il. Remer­ciements, salut, j’en­fourche le vélo et com­mence l’as­cen­sion du retour, six cent mètres de dénivelé. Pen­dant les cinquante min­utes de mon­tée, je croise qua­tre fois la patrouille de gen­darmerie. Deux fois en direc­tion du som­met, deux fois en direc­tion de la val­lée, et chaque fois les gen­darmes ten­dent le pouce, agi­tent la main, klaxonnent. 

M.

Et un jour tu t’aperçois que pour éviter la merde il faut avoir com­pris que la merde n’est pas tou­jours visible.

Vie matérielle

Aujour­d’hui, j’ai lavé des draps, cuit un pain, changé un pneu de vélo, lis­sé de stuc un mur, rangé les albums Tintin, con­stru­it une cible de tir, allumé deux feux, étudié le mode d’emploi d’un bac à glace pour la Dodge, écouté Capra, rem­pli le réser­voir de mazout, nour­ri les oiseaux et décal­ci­fié ma paroi de douche. 

Ghettos

Mais non, me dis­ent afin de me ras­sur­er sur la sit­u­a­tion de Lau­sanne ma femme comme Mamère, lesquelles ne se par­lent pas mais ont peu ou prou le même âge: “si tu ne quittes pas ton quarti­er, c’est agréable!”

Truc

Je laisse mes sabots chi­nois sur la place du vil­lage avec un ruban de scotch car­rossier sur lequel est annoté: “suis par­ti faire du vélo, je reviens”. 

Trou

Ce dans quoi nous vivons, le vil­lage étant con­stru­it sur un fond, entre des parois de pierre arti­fi­cielle­ment plan­tées de pins (je le sais par le paysan, les sol­dats fran­quistes ont ense­mencé). Par­ti du seuil de ma Mai­son des Neiges — ain­si bap­tisée par les fon­da­teurs, ce que con­firme la plaque de faïence apposée sur le mur de façade — j’ai franchi trois fois de suite le col, mon­tée et descente, en une heure et quar­ante neuf min­utes. Les voisins qui me croisent sur la route en voiture : “tu fais quoi?”. Entre deux expi­ra­tions, je ris et salue. Passé huit heures, de retour devant la source prin­ci­pale du vil­lage, j’ai accu­mulé 1230 mètres de montée.

Architecture

Avec l’âge on devient sen­si­ble à la beauté de l’ar­chi­tec­ture qui con­stitue organique­ment nos villes et les des­tine his­torique­ment; par effet de con­traste, on décou­vre la muti­la­tion psy­chologique que représente l’érec­tion méthodique des cages à bêtes qui pro­lifèrent sur le ter­ri­toire occidental.

An 2 (XXVII)

Le prix à pay­er en démoc­ra­tie pour con­stru­ire une société éten­due est la cor­rup­tion. Dans le total­i­tarisme, la seule dif­férence est que le domaine de la cor­rup­tion s’é­tend mais au lieu de prof­iter à une courte majorité il prof­ite plus à une forte minorité.

Les travaux et les jours

Plongé dans les cor­rec­tions de Sosiété. A une semaine du retour en Suisse, j’ai révisé moins de la moitié du man­u­scrit. Par moments je me force au tra­vail, à d’autres je me pré­cip­ite. Cela dépend du sen­ti­ment que j’éprou­ve devant le texte. Une vue d’ensem­ble m’est don­née, je trou­ve un rythme, alors il y a effet d’en­traîne­ment et je me félicite; lorsque je peine, cisèle, biffe, m’en­lise, je me décourage. Me vient alors l’idée que ce man­u­scrit restera impub­lié. Sim­ple sta­tis­tique. Pour seize livres sor­tis chez les édi­teurs, j’ai plus de quar­ante man­u­scrits dans mes fonds de tiroir. De grave qu’elle était, la sit­u­a­tion s’ag­grave encore; j’ig­nore si c’est général, du moins est-ce vrai pour moi. En Suisse, les édi­teurs font plus la chas­se aux sub­ven­tions qu’aux textes, c’est dire si leur audace au moment de  jeter le dévolu sur un écrivain qui n’est pas “cor­rect” est grande. A Paris, comme d’habi­tude, les édi­teurs tien­nent fer­mé le por­tillon devant la bous­cu­lade des can­di­dats. D’ailleurs je suis sans nou­velles de Naypyi­daw, Cité de l’e­space qui sort offi­cielle­ment chez B2 le 1er mai. Bref, dès demain je pour­suiv­rai les cor­rec­tions, avant d’en­voy­er, de met­tre au tiroir et de pass­er à un pro­jet neuf. Un livre sur l’esthé­tique du MMA ou Robots et Immi­grés, la suite de H+ ayant cumulé depuis 2019 des mil­liers de notes. Pour ce qui est de la vie matérielle, je suis à demeure et con­tin­ue les chantiers : pein­ture des cloi­sons que les pro­prié­taires précé­dents ont eu la drôle d’idée de recou­vrir d’un jaune pipi, vernissage de la bib­lio­thèque et tonte de l’herbe (pas de gazon, je ne sais pas com­ment on obtient un gazon). Entre l’écri­t­ure et ces chantiers, je trou­ve un moment afin de con­stru­ire une cible pour le lancer des haches. Man­quaient des planch­es de bonne épais­seur. Or, l’employé munic­i­pal à mis au rebut une par­tie des bancs de la salle de bal. Le bois est grossier, badi­geon­né de qua­tre ou cinq couch­es de pein­ture à l’huile, il n’est pas d’hi­er et a vu défil­er des généra­tions de fess­es. Il con­vient. La cible fera un mètre sur un cinquante. Je tir­erai tom­a­hawks et couteaux à une dis­tance de 5 mètres. Il s ‘agi­ra de vis­er car le jardin est petit et les envi­rons habités.