Fatigué qu’on lui en demande tant et plus, le peuple vota la dictature (juin 2021).
Sympathie
En France hier par le col de Somport. Stations de ski fantômes sur le versant espagnol, café panoramique fermé au passage de frontière, longue descente à travers les pacages et les forêts sèches. J’atteins alors l’entrée du tunnel où sont postés les gendarmes. Je fais signe, ils répondent. Je fais signe que je veux leur parler, ils coulissent la porte latérale du fourgon. Non, disent-ils, mercredi ce sera une autre équipe. Bien — mais je voudrais savoir si j’aurai besoin d’un test (ne voulant pas faire ce que je ne veux pas faire, force est d’anticiper). Un certificat de travail suffira, répondent-ils, après quoi nous parlons vélo. Le plus jeune est monté ce matin sur le col. Pour faire de la conversation, je compare le versant français au versant espagnol. “Je ne suis jamais allé de l’autre côté”, avoue-t-il. Remerciements, salut, j’enfourche le vélo et commence l’ascension du retour, six cent mètres de dénivelé. Pendant les cinquante minutes de montée, je croise quatre fois la patrouille de gendarmerie. Deux fois en direction du sommet, deux fois en direction de la vallée, et chaque fois les gendarmes tendent le pouce, agitent la main, klaxonnent.
Vie matérielle
Aujourd’hui, j’ai lavé des draps, cuit un pain, changé un pneu de vélo, lissé de stuc un mur, rangé les albums Tintin, construit une cible de tir, allumé deux feux, étudié le mode d’emploi d’un bac à glace pour la Dodge, écouté Capra, rempli le réservoir de mazout, nourri les oiseaux et décalcifié ma paroi de douche.
Trou
Ce dans quoi nous vivons, le village étant construit sur un fond, entre des parois de pierre artificiellement plantées de pins (je le sais par le paysan, les soldats franquistes ont ensemencé). Parti du seuil de ma Maison des Neiges — ainsi baptisée par les fondateurs, ce que confirme la plaque de faïence apposée sur le mur de façade — j’ai franchi trois fois de suite le col, montée et descente, en une heure et quarante neuf minutes. Les voisins qui me croisent sur la route en voiture : “tu fais quoi?”. Entre deux expirations, je ris et salue. Passé huit heures, de retour devant la source principale du village, j’ai accumulé 1230 mètres de montée.
Architecture
Avec l’âge on devient sensible à la beauté de l’architecture qui constitue organiquement nos villes et les destine historiquement; par effet de contraste, on découvre la mutilation psychologique que représente l’érection méthodique des cages à bêtes qui prolifèrent sur le territoire occidental.
Les travaux et les jours
Plongé dans les corrections de Sosiété. A une semaine du retour en Suisse, j’ai révisé moins de la moitié du manuscrit. Par moments je me force au travail, à d’autres je me précipite. Cela dépend du sentiment que j’éprouve devant le texte. Une vue d’ensemble m’est donnée, je trouve un rythme, alors il y a effet d’entraînement et je me félicite; lorsque je peine, cisèle, biffe, m’enlise, je me décourage. Me vient alors l’idée que ce manuscrit restera impublié. Simple statistique. Pour seize livres sortis chez les éditeurs, j’ai plus de quarante manuscrits dans mes fonds de tiroir. De grave qu’elle était, la situation s’aggrave encore; j’ignore si c’est général, du moins est-ce vrai pour moi. En Suisse, les éditeurs font plus la chasse aux subventions qu’aux textes, c’est dire si leur audace au moment de jeter le dévolu sur un écrivain qui n’est pas “correct” est grande. A Paris, comme d’habitude, les éditeurs tiennent fermé le portillon devant la bousculade des candidats. D’ailleurs je suis sans nouvelles de Naypyidaw, Cité de l’espace qui sort officiellement chez B2 le 1er mai. Bref, dès demain je poursuivrai les corrections, avant d’envoyer, de mettre au tiroir et de passer à un projet neuf. Un livre sur l’esthétique du MMA ou Robots et Immigrés, la suite de H+ ayant cumulé depuis 2019 des milliers de notes. Pour ce qui est de la vie matérielle, je suis à demeure et continue les chantiers : peinture des cloisons que les propriétaires précédents ont eu la drôle d’idée de recouvrir d’un jaune pipi, vernissage de la bibliothèque et tonte de l’herbe (pas de gazon, je ne sais pas comment on obtient un gazon). Entre l’écriture et ces chantiers, je trouve un moment afin de construire une cible pour le lancer des haches. Manquaient des planches de bonne épaisseur. Or, l’employé municipal à mis au rebut une partie des bancs de la salle de bal. Le bois est grossier, badigeonné de quatre ou cinq couches de peinture à l’huile, il n’est pas d’hier et a vu défiler des générations de fesses. Il convient. La cible fera un mètre sur un cinquante. Je tirerai tomahawks et couteaux à une distance de 5 mètres. Il s ‘agira de viser car le jardin est petit et les environs habités.