Afin de ne manquer aucun courrier, je domicilie au début de l’affaire la correspondance légale auprès de l’avocat. Hier sonne à ma porte la facteur. Elle apporte les conclusions de la procédure. La loi m’oblige à en prendre connaissance, ce qui veut dire que je dois confirmer la réception du pli par une signature. Sauf que la facteur ne réussit pas à scanner le code d’enregistrement du Tribunal. Elle va chercher de l’aide en mairie. N’en trouve pas. Revient. Pose le pli au sol, sort son pistolet, scanne encore et encore. Refusé. “C’est sans importance, lui dis-je, le Tribunal peut envoyer à l’avocat, j’ai payé pour ça”. Fin d’après-midi, l’avocat m’appelle: “tu aurais dû accepter le pli Alexandre, c’est obligatoire!”. Il me m’enjoint d’aller le chercher chez le procureur. “Je ne peux pas, dis-je, je suis débordé!”. Pas faux: j’ai prévu de faire du vélo et de cuisiner un filet mignon. L’avocat insiste: faute de récupérer le pli, nous ne pourrons pas faire recours. Le surlendemain, je vais au Tribunal de Puente. Le garde civil me dit d’appuyer sur une petite sonnette scotchée sur une table. Un fonctionnaire en pantoufles sort d’un cagibi. J’explique mon affaire. “Pourquoi n’avez-vous pas accepté le pli?”. Je réexplique. Il soupire: “c’est impossible”. Je monte le ton (en Espagne on ne monte pas le ton, c’est comme pour la Thaïlande bouddhiste, une fois le ton monté le dérapage est proche”. Le pantouflard se résigne: il va falloir travailler le problème. “Nom du procureur?”. Comme si j’avais retenu le nom d’une femme vue sur un écran! L’ai dégoûté, le pantouflard rentre dans le cagibi. Dix minutes s’écoulent. Enfin il montre la tête: “j’arrive”. Il arrive. Le papier à hauteur des fesses, la démarche d’un canard qui sort de son jus. Derrière le paravent anti-bactéries, il soulève le papier comme s’il pesait dix kilos, remonte des lunettes sur un nez gras, fixe le document et déclare: “vous avez été condamné”.
Rencontre
Après avoir campé l’été dernier dans un bois autrichien près de Riegl interdits que nous étions d’hôtel par le train des mesures sanitaires, j’ai conduit d’une traite à travers l’Allemagne pour rejoindre en soirée la frontière suisse à Kreuzlingen. Là, ma carte de téléphone lâche. Un masque albanais à deux aigles sur la face, j’entre au supermarché, j’achète une recharge. La caissière m’aide. Un client me conseille. Je tape des codes et des relances, rien n’y fait, l’écran du portable est noir. Le gérant vient à la rescousse. Il dicte les manipulations, me complimente sur mon allemand qui est médiocre, je lui demande son origine, il affiche un sourire: l’Albanie. Hypocrite, je m’empresse de lui dire tout le bien que j’en pense (la première fois qu’en Europe je plonge en plein tiers-monde). Sincère en revanche quand je le remercie de sa sollicitude et le félicite pour ses connaissances techniques car il finit par redémarrer le portable. Là-dessus je rejoins le parking. Evola monte en voiture, je prends le volant. Je déboîte lorsqu’un chauffeur à bord d’une Mercedes agite la main par la vitre abaissée. Come on fait dans ces circonstances, je demande: “nous nous connaissons?”. C’est l’Albanais, sans son masque. Sur le parking, nous échangeons nos numéros de téléphone. Il me remercie chaleureusement: “enfin un Suisse sympathique!”. Mais voilà, j’y pensais hier, jamais je n’ai retrouvé son numéro, probablement ai-je fait une fausse manipulation et je m’en veux quand je songe que forcément, il doit penser que je l’ai fait exprès.